mardi 9 novembre 2010

Les chrétiens d’Orient s’éclipsent en silence

Les chrétiens sont environ 11 millions au Proche- et au Moyen-Orient, selon une estimation de 2008 de l’association L’Œuvre d’Orient. Ils se répartissent en onze Eglises orientales de rites différents. Mais il est difficile d’avoir une évaluation précise et à jour, notamment en ce qui concerne l’Irak, compte tenu de l’exode massif de ces dernières années. En Egypte, les chrétiens représentent environ 10 % de la population. Ils sont près de 40 % au Liban, 4,5 % en Syrie, moins de 3 % en Irak, 2 % en Israël et autour de 2 % également dans les Territoires palestiniens.


De l’Egypte à la Syrie, du Liban à l’Irak, les minorités chrétiennes sont de plus en plus contraintes à l’exil ou à la plus grande discrétion. Avec l’assentiment tacite des gouvernants et des intellectuels.

Le nombre de chrétiens de l’Orient arabe est en diminution constante. Ils ne disposent pas de la “bombe démographique” comme leurs semblables musulmans. Ils émigrent en Occident, individuellement ou par familles entières. Sans bruit. Seuls restent ceux qui n’ont pas les moyens de partir ou qui s’entêtent à rester fidèles à la patrie originelle du christianisme. Mais ils se font discrets au point d’être presque invisibles. Cet exode silencieux aboutira, en moins d’une décennie, à une situation analogue à celle des juifs orientaux. On en cherche les traces et on interroge quelques vieux qui se souviennent vaguement du passé, un passé qui avait contribué à l’essor et au progrès de l’Orient.

Les chrétiens servent de boucs émissaires et subissent, au quotidien, tracasseries et dénis de droits. Ils sont les représentants d’une religion monothéiste, certes, mais d’un monothéisme “dévoyé”, disent leurs adversaires. C’est l’islam qui a rétabli la vérité de la révélation divine, selon l’idée formulée dans les années 1950 par le “penseur” des Frères musulmans, Sayyid Qutb.

Marginalisation, atteintes à l’intégrité physique… il n’y a là rien de totalement nouveau. Dès les premiers siècles de l’islam, les califes ont hésité entre deux attitudes : soit l’acceptation des chrétiens en tant que dhimmis, en leur offrant la protection en contrepartie de leur soumission et du paiement de la jizya [impôt prouvant l’allégeance au souverain et permettant d’être exempté du service militaire] ; soit la démagogie, en laissant libre cours à la haine, à la violence et aux élans destructeurs. Les deux sont contraires aux principes de l’Etat de droit, sous la protection duquel nous sommes censés vivre aujourd’hui.

On pensait l’avoir établi, cet Etat de droit, à l’époque des indépendances vis-à-vis du colonialisme européen. Il reposait – théoriquement – sur la citoyenneté, le droit et une laïcité balbutiante. Mais, ces vingt dernières années, la terminologie laïque – l’Etat, la loi, les citoyens – a été remplacée par un vocabulaire religieux. Aujourd’hui, la justice et l’injustice sont remplacées par le licite et l’illicite, le droit par la charia, l’Etat-nation par le califat. L’islamisme a imposé son vocabulaire, ses catégories et ses normes. Et cela a écarté les chrétiens du champ de vision.

La plupart des intellectuels justifient leur silence sur la question en disant que “soulever la question des minorités” nuirait à l’unité nationale – et en expliquant que les musulmans sont eux aussi concernés par l’effondrement de l’idéal de l’Etat moderne. La fuite des chrétiens orientaux s’expliquerait par les liens culturels historiques qu’ils ont avec l’Occident. Ces intellectuels comparent l’émigration des chrétiens à celle des musulmans qui fuient les guerres, le chômage, la tyrannie et la corruption. Ils font semblant de ne pas voir que les premiers sont marginalisés dans tous les domaines. Les “citoyens” chrétiens de Palestine, du Liban, d’Egypte, d’Irak et de Syrie peuvent raconter sans fin des petites histoires quotidiennes sur ce thème.

En Egypte, où l’islam extrémiste est devenu l’idéologie courante, la culture de toute une société commence à opérer un clivage entre les musulmans et les autres, c’est-à-dire les coptes. Et l’Etat et l’intelligentsia, à qui cette montée religieuse fait peur, s’alignent sur la position inventée par Anouar El-Sadate, l’ancien “président pieux” [1970-1981], consistant à dire : “Les islamistes mettent en avant leur foi ? Alors, soyons plus musulmans qu’eux !” Le résultat ? N’importe quel prétexte est bon pour tirer sur une assemblée de coptes. En Syrie, l’islamisation mise en œuvre par le régime baasiste, créé jadis au nom de l’“arabisme laïc”, n’est pas très différente de celle instaurée sur les bords du Nil. En Palestine et en Irak, pas besoin de vexations, de harcèlement ou de campagnes télévisées de prédicateurs de la haine et de la mort : il suffit de laisser planer la menace, d’instaurer le doute sur ce qui pourrait arriver si…
Le Hamas palestinien, le mouvement irakien de Moqtada Al-Sadr et d’autres mouvements fondamentalistes harcèlent les chrétiens pratiquants et incendient leurs lieux de culte. Au Liban, les deux fondamentalismes, sunnite et chiite, ne sont pas en reste. Les tirs, les jets de pierres et le déchaînement des foules musulmanes dans le quartier chrétien d’Achrafieh [en février 2006] pour protester contre les caricatures de Mahomet parues dans un journal danois donnent une idée du travail accompli par des chefs démagogues auprès de leurs ouailles pour qu’ils se mettent “en colère” et s’en prennent aux foyers des habitants de ce quartier. Les “conseils” récemment prodigués par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, aux chrétiens du Liban ont été interprétés comme un retour aux temps où ils devaient se placer sous la protection des musulmans. Ce n’est qu’un petit exemple de la culture ambiante, parmi des dizaines d’autres qui se produisent tous les jours. Certains sont répercutés dans la presse, d’autres passés sous silence ; certains sont oubliés, d’autres se gravent dans les mémoires. Mais ce sont des petits fragments dont le chrétien chassé de sa terre porte l’empreinte.

La vengeance des musulmans pour l’oppression occidentale qu’ils ont subie consiste-t-elle à exporter en Occident des islamistes et leurs victimes, laissant ainsi aux pays occidentaux le soin de se débrouiller avec les fondamentalistes musulmans et leurs victimes chrétiennes ?

Dalal al-Bizri | Al-Mustaqbal
Courrier intl'

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