jeudi 22 juillet 2010

«Les cités ont pris la tête du grand banditisme»

Alors que certaines cités de Grenoble ont été le week-end dernier le théâtre de nuits de violences urbaines après la mort d'un braqueur, le journaliste et écrivain Jérôme Pierrat, spécialiste de la grande criminalité française, décrypte pour lefigaro.fr la radicalisation qui s'opère au sein du grand banditisme.

LEFIGARO.FR. - Est-ce un hasard si ces événements se sont déroulés à Grenoble ?

Jérôme Pierrat*. - Cela fait 40 ans qu'on s'entretue à Grenoble, où il y a une tradition ancienne de grand banditisme. En 2007-2008, il y avait d'ailleurs eu une série de règlements de compte, dont justement dans le quartier de la Villeneuve. Depuis la fin des années 1960 et la mort du «parrain» Mattéi, ça été la guerre ininterrompue. On ne sait pas pourquoi ça a commencé. Il y a eu les Corses contre les Italo-Grenoblois, puis ces derniers entre eux, puis les Italo-Grenoblois contre la «bande de l'Abbaye»... En tout, presque 200 morts en 40 ans : c'est pire qu'en Corse ou à Marseille. Les criminels de Grenoble ont donc baigné dans cette culture de violence et de règlements de compte. Leur radicalité est liée à l'histoire de la ville et de ses criminels.

À Grenoble comme ailleurs, les cités sont désormais au centre des affaires de grand banditisme. Sont-elles devenues un vivier pour le milieu ?

Le grand banditisme se nourrit là où il l'a toujours fait : aux marges de la société. Aujourd'hui, les zones défavorisées, ce sont les cités des grandes villes. Mais elles ne sont pas un vivier, elles sont le grand banditisme, à Grenoble comme à Lyon, Marseille ou Paris ! Le grand banditisme n'appartient pas au milieu traditionnel, il change de visage et de mains.
À partir des années 1990, les voyous des cités sont montés en gamme dans le trafic de stupéfiants, passant du petit dealer au grossiste, puis à l'importateur. Pendant dix ans, ils se sont aguerris, enrichis, ils ont pu acheter des armes. Ils sont montés en puissance discrètement, dans l'ombre du milieu traditionnel, sur lequel tout le monde restait focalisé. Aujourd'hui, ils tiennent toute la chaîne et ils jouent dans la cour des grands.

Il y a donc deux milieux qui cohabitent ?

Tout ce petit monde se retrouve en prison, où des liens se nouent : ils ont donc fini par travailler ensemble. Mais aujourd'hui, clairement, le milieu traditionnel s'estompe face au nouveau milieu des cités. Les «parrains» se font vieux et sont de plus en plus dépassés par les nouvelles techniques. Ceux des cités n'ont plus rien à leur envier, ils sont plus riches et plus dangereux. Signe de ce renversement, à Grenoble par exemple, les policiers se sont rendu compte que ce sont désormais les gars des cités qui jouent les juges de paix au sein du milieu traditionnel.

Le visage du grand banditisme s'en trouve-t-il changé?

Fondamentalement, les codes restent les mêmes : pour être un bon voyou, il faut toujours savoir se taire, etc. Quant à la violence, je ne pense pas que les individus soient foncièrement plus violents aujourd'hui qu'au «bon vieux temps». D'ailleurs, quand on regarde les statistiques des braquages, il n'y a jamais eu autant de policiers tués que dans les années 70-80.
On assiste en revanche bien à une radicalisation, liée au rapport de force : les policiers sont de mieux en mieux équipés, donc en face, on s'équipe aussi. Les mentalités évoluent aussi, tout est devenu plus rationnel : fini le folklore, les gars sont là pour se faire de l'argent et c'est tout. À chaque époque, son voyou.

Est-ce que la police a pris le virage ?

Pendant longtemps, la police a négligé cette évolution, méprisé ce qu'elle pensait n'être que du menu fretin. Mais il y a eu une prise de conscience. Aujourd'hui, la police en est à faire du renseignement dans les cités, pour observer et essayer d'identifier les caïds. On en est là, à découvrir ce nouveau milieu pour mettre à jour les fichiers.


* Auteur d'une Histoire du milieu (Denoël, 2003), de La vraie mafia des cités (Denoël, 2006) et de Gangs de Paris (Parigramme, 2007)
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