dimanche 27 juin 2010

L’esprit des cités est en train de dévorer l’esprit de la cité.

Alain Finkielkraut

(...)

Ce que vous n’avez pas aimé dans cette équipe, c’est qu’elle présente «un miroir terrible» au pays qui constate ainsi «le spectacle de sa désunion»…

Si cette équipe ne sait pas représenter la France, hélas, elle la reflète. Maintenant que je l’ai dit, et que j’ai voulu me faire le messager de la mauvaise nouvelle, on m’attaque, on me traite au mieux de réactionnaire et on veut remettre aussitôt le couvercle. Car les élites françaises, notamment certains journalistes et sociologues, souffrent du syndrome Domenech. «Tout va bien», disent-ils quand tout va mal! Ce que vous voyez, affirment-ils, est une illusion. Ils ne veulent pas que l’événement auquel nous avons assisté soit significatif.

Comment pouvez-vous être aussi affirmatif?

Mais je ne suis pas le seul à le dire. Lisez Le Monde, ce journal idéologiquement impeccable. Il y était écrit dans un éditorial, antérieur aux dernières goujateries de cette équipe, qu’elle était dominée par des ego tourmentés et des salaires de stars, fractionnée en de multiples clans: Noirs d’origine antillaise, Noirs d’origine africaine, blancs, musulmans, expatriés de luxe ou restés en France, issus des cités de banlieue ou venus de modeste province… Nous souffrons du spectacle affligeant de l’équipe de France: parce que, en les regardant, nous sommes obligés de nous demander: qu’est-ce qui nous arrive.

A vous entendre, ce qui se passe en équipe de France se produit tous les jours dans les préaux (insultes au professeur, mobbing du premier de la classe, et on ne cafte pas)…

Là encore, j’ai été mis sur la piste de cette analogie par Le Monde, puisque j’ai appris dans ce journal que Gourcuff a tout pour déplaire, en tant que fils de prof, à ses nombreux collègues issus des cités sensibles où l’on n’aime guère les premiers de la classe. Là, je me suis dit qu’il se passait quelque chose de fascinant. Dans les classes, ceux qu’on appelle les intellos sont attaqués, persécutés par les autres élèves. Ce n’est même pas vrai seulement dans les cités sensibles. Cette attitude, cette violence, se répand même dans certains établissements de centre-ville. C’est un phénomène effrayant, et, peut-être que ce qui s’est passé en Afrique du Sud aura au moins eu cet effet salutaire de nous obliger à en prendre conscience.

Il y a aussi la question du respect…

Ça, c’est extrêmement intéressant, parce que Raymond Domenech, très, très pitoyable entraîneur, a joué tous les rôles dans cette mauvaise pièce. Il a été à la fois l’instituteur agressé et l’administration qui fait tout pour étouffer la chose. Celle qui va nous expliquer que ça n’a pas d’importance, que cela n’aurait pas dû être rendu public, que la sanction était déjà tombée, puisque le joueur était sorti à la mi-temps… Nous voyons, en accéléré, une image extraordinaire de notre réalité, puisqu’il y a à la fois la violence à l’égard des détenteurs de l’autorité, et la dénégation éperdue de cette violence. Nous observons qu’un processus de décivilisation est à l’œuvre. Le football, le sport en général, est l’un des théâtres où cela se produit, comme, aussi, l’école. Et l’on ne peut plus se voiler la face aujourd’hui.

Vous avez pourtant vibré avec les générations de Platini et de Zidane. Qu’est-ce qui a changé avec cette volée que vous appelez Les Sopranos (une célèbre série TV montrant des mafiosi new-yorkais)…

Ce qui a changé, c’est que l’esprit des cités est en train de dévorer l’esprit de la cité. Nous vivons une crise de l’identité nationale. On peut trouver ridicule ces joueurs qui chantent leur hymne à gorge déployée, et qui ont le sentiment de défendre leur nation quand ils jouent au football. Certains parleraient d’aliénation, mais cette attitude est beaucoup plus humaine que l’attitude inverse, celle du je-m’en-foutisme, de la morgue, et de l’arrogance qui caractérise un certain nombre de voyous millionnaires pour lesquels le fait de porter le maillot de l’équipe de France n’a strictement aucune signification. Et qui manifestent même, sans aucune pudeur, le dédain que leur inspirent les Français et la France. Il s’agit, je le répète, d’une question de comportement.

(...)


Vous n’êtes pas que pessimiste. Vous dites que le football peut aussi révéler l’identité française, et qu’il montre du panache…

Oui. Les Français ont rejeté leur équipe, et ce rejet me donne quelques raisons d’espérer. Après la main de Thierry Henry, les instances du football français, le triste Domenech en tête, ont dit: nous avons gagné, et seule la victoire est belle. Et les Français se sont révoltés contre cette idée. Ils avaient, si j’ose dire, une certaine idée du sport et de la France. Ils ont dit: non, la victoire n’est pas belle quand elle est entachée d’une faute aussi minable. La beauté est plus belle que la victoire, et le panache doit être une composante de l’identité française. De même, aujourd’hui, ils rejettent cette équipe en raison d’un comportement qui les révulse. C’est une magnifique révolte de la common decency (la morale commune, ndlr.), pour parler comme George Orwell.

http://www.lematin.ch/actu/monde/alain-finkielkraut-voyous-millionnaires-293656

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Ivan Rioufol

Les promoteurs de la France "black, blanc, beur", née de la victoire de 1998, s'accrochent encore à leur fiction. Ils ne veulent voir qu'une péripétie sportive dans le naufrage et dénoncent un "manichéisme" (Pascal Boniface parlant d'Alain Finkielkraut) chez ceux qui pointent leur imposture. Il est vrai que, pour eux, l'évidence est cruelle : les joueurs se sont fractionnés selon leur appartenance à l'islam (Ribéry, Anelka, Abidal) ou leur couleur de peau (Govou : « Quand on cherche des affinités, la couleur c'est le premier choix qui vient à l'esprit »), en rejetant le trop français Yoann Gourcuff. Or cette honte est le fruit du différentialisme, voulu par l'antiracisme.

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