dimanche 29 mars 2009

«La journée de la jupe»

«La journée de la jupe», un film réalisé par Jean-Paul Lilienfeld et interprété par Isabelle Adjani va faire date.

C’est peut-être le film qu’une majorité silencieuse attendait. Un indice de qualité : les seules mauvaises critiques de la grande presse émanent du Monde et des Inrockuptibles. C’est plutôt bon signe quand on s’est inscrit dans la volonté de chambardement des tabous et de la novlangue politiquement correcte.

Le film raconte l’histoire d’une professeure de Français de lycée confrontée à une classe essentiellement composée de Français issus de la troisième génération d’immigrés. La journée commence mal : invectives, grossièretés, indiscipline… Elle va basculer dans le drame avec la découverte d’un revolver dans le sac d’un élève et le «pétage de plomb» de l’enseignante qui va s’en saisir et prendre sa classe en otage, répondant autant à sa peur qu’à sa rage. Elle sera embarquée dans une tragique fuite en avant.

«La journée de la jupe» n’obtiendra ni Palme d’or ni César, du moins pas tant que l’intelligentsia qui fait la pluie et le beau temps culturels, confortablement affaissée dans ses certitudes, n’aura pas fait son salutaire travail de remise en question.


Jean-Paul Lilienfeld répond au site Primo

Primo : Jean-Paul Lilienfeld, bonjour. Après «Entre les murs», un film de plus sur l’école ?

Jean-Paul Lilienfeld : Un autre film plutôt qu’un film de plus.

Je n’ai pas vu «Entre les murs» et j’ai appris l’existence du film lors de sa sélection à Cannes. Vu le temps nécessaire au montage et à la fabrication d’un film, vous imaginez bien qu’il ne s’agit pas d’une décision que j’ai prise à la suite du film de Laurent Cantet. Il s’agit comme souvent de coïncidences qui correspondent à ce que véhicule l’air du temps.

P : Pourquoi cette approche ? Habituellement, face au naufrage de l’Education, c’est l’explication victimaire qui est en filigrane de ce genre de film. Seriez-vous suicidaire ?

JPL : Parce que c’est la mienne. Je pense que ces ados sont victimes d’une double discrimination : sociale et raciale. Et tout ce qui peut être fait d’efficace pour supprimer le racisme et la pauvreté aura mon approbation. Mais être une victime n’empêche pas d’être un bourreau. Se considérer comme une victime et seulement une victime empêche d’avancer, puisqu’on part du principe qu’on est battu d’avance. (...)


Par ailleurs vous parlez de naufrage de l’Education. Le «E» majuscule regroupe toutes les éducations. La nationale et la familiale.

La nationale parce qu’au nom d’un dogme (80% de réussite au Bac), on ment aux jeunes des quartiers en leur faisant croire qu’un 12 de moyenne chez eux est le même qu’un 12 de moyenne dans un «bon» lycée. Parce qu’on revoit les grilles de notation pour approcher le dogme au plus près.

Seulement après, arrive la vraie vie. Et c’est un incroyable mépris pour ces jeunes que de les avoir dupés jusqu’à ce qu’ils se prennent une claque en arrivant aux études supérieures. (...)


Oui, ces jeunes sont défavorisés et discriminés. Et il faut lutter contre ça. Non, ça ne justifie pas tous les échecs.

Ou alors les Arméniens puis les Juifs devraient être au plus bas de la société après les exterminations dont ils ont été victimes. Ce n’est pas le cas. On trouve toutes les couches sociales dans ces communautés.

Aujourd’hui, il y a un fort repli communautaire parce que malheureusement on a fait évoluer des gens en circuit fermé. On, c’est qui ? Les institutions qui ont groupé les immigrés par pays voire parfois par ethnies en étant persuadé de bien faire parfois. On, c’est l’évolution naturelle qui a fait que ceux qui étaient en cité ont eu des enfants qui réussissaient mieux qu’eux et pouvaient la quitter.

(...)

D’autres parents n’ont pas toujours la volonté de s’occuper de leurs enfants. Je suis père et parfois, pour éviter les situations conflictuelles, on a la tentation de laisser faire. Il y a probablement aussi un sentiment de revanche, conscient ou pas, sur le temps des colonies. Un «ils nous doivent bien ça».

Mais il y a aussi l’ignorance, les idées toutes faites. Fofana qui kidnappe Ilan parce que «les Juifs ont de l’argent.»

C’est une série de problèmes, une chaîne malheureuse qui conduit à cette violence. Additionnée à une complaisance dont les tenants s’achètent une bonne conscience à bon compte. Il ne suffit pas de plaindre quelqu’un pour lui venir en aide.

(...)

P : Un des «jeunes», celui qui incarne en gros «le méchant», utilise le Coran comme arme d’intimidation mais on découvre par la suite qu’il est non croyant. Ce personnage est-il, selon vous, symbolique d’une dérive de l’Islam et de son instrumentalisation ?

JPL : Non. Il est symbolique de ce que j’appelle "la fierté de substitution". Quand on est Noir ou Arabe, c’est évident que l’on est discriminé. Cette fierté de substitution consiste à se forger une identité fantasmée parce qu’on n’en a pas une qui est respectée. Les enfants se raccrochent ainsi à la religion, à une langue, à un pays dont ils ne savent souvent pas grand chose.

D’ailleurs, quand ils vont dans le pays d’origine de leurs parents, on les considère comme des Français. Ils sont complètement largués. Et des vautours rôdent pour les récupérer.

(...)


Par ailleurs, c’est à nouveau les enfermer dans un ghetto que de cibler les origines de ses élèves pour leur faire passer un enseignement.

P : Parlez-nous des difficultés rencontrées pour produire ce film.

JPL : Impossible de le monter au cinéma. J’ai essayé pendant 18 mois. Plein de compliments sur le scénario mais sujet jugé trop sensible. Seule la chaîne Arte a osé.

P : Avez-vous pesé le pour et le contre avant de vous lancer dans cette aventure ? Avez-vous pensé aux inévitables accusations «d’islamophobie» ?

JPL : Le plus beau compliment qu’on m’ait fait sur ce film, c’était à Saint-Denis, où nous avons tourné. La salle était composée à 99, 9% de personnes noires et arabes. A la fin de la projection, un vieux monsieur marocain de 80 ans m’a dit, les larmes aux yeux : «Merci de parler de nous normalement». Je suis toujours très agacé par les intellectuels de salon qui pensent à la place des gens.

C’est du post-colonialisme de penser que ces derniers ne sont pas assez intelligents pour savoir ce qui est bien ou pas pour eux. Parce que ce que ces salonnards oublient trop souvent, c’est que les premiers à souffrir de ce qui se passe dans les quartiers sont les gens qui y habitent.

Moi, j’ai le respect de tout être humain. Et c’est au nom de ce respect que je lui parle normalement. Être noir ou arabe n’est ni une tare ni un vaccin contre la connerie.

(...)

Donc non, je ne suis pas islamophobe. Je suis crétinophobe.

J’admire la pensée de Malek Chebel ou le courage de Mohamed Sifaoui.

Aucun commentaire: