jeudi 18 décembre 2008

BOSNIE-HERZÉGOVINE • A Sarajevo, le Père Noël n’est plus le bienvenu

En France, même problème, ça a commencé avec des maires suffisamment lâches à qui on fait bien comprendre que des panneaux avec des inscriptions sataniques comme "Joyeux Noël" sont choquants pour "certaines communautés" (toujours la même) et qui maintenant refont les décos à coup de "Joyeuse Fêtes"...

Levez le nez en décembre, ça commence, ou plutôt ça se prolonge avec des lampions qu'on "accommode" et ça finira... à la mosquée! En eau de boudin ?

----------------------

Le vieillard barbu qui apportait tant de joie aux enfants a pratiquement disparu de l’espace public. Un écrivain bosniaque y voit le symptôme d’une société de plus en plus soumise aux diktats religieux.

En 1996, deux jours après le réveillon de la première année de paix [les accords de Dayton ont mis fin à la guerre en 1995], Alija Izetbegovic, premier président [musulman] de la Bosnie-Herzégovine, avait envoyé une missive à la télévision nationale, indigné par des images des festivités sur lesquelles “un petit nombre d’individus insolents et sans cœur osaient se tordre de rire comme si rien ne s’était passé, alors que les tombes étaient encore fraîches et les ­blessures ouvertes”.
Dans la foulée, Izetbegovic avait demandé – c’est-à-dire ordonné – à la télévision d’arrêter de montrer au public le Djed Mraz [littéralement “le Père Gel”, la version communiste du Père Noël qui apportait les cadeaux la nuit du 31 décembre] et autres personnages symboliques d’origine “étrangère”. Le sympathique vieillard à barbe blanche ne devrait désormais plus sortir de l’intimité des foyers. Aujourd’hui, fin 2008, le Djed Mraz de la Yougoslavie de Tito est pratiquement absent de l’espace public, grâce notamment à l’obstination de gens comme Azija Mahmutovic, directrice de l’institution officielle Les Enfants de Sarajevo (Djeca Sarajeva), reconnue d’intérêt public par l’Etat. Malgré les critiques et la résistance de certains médias, elle a réussi à imposer l’enseignement de la religion musulmane jusque dans les maternelles municipales. Des établissements qui appartiennent à tous les citoyens bosniaques et pas seulement à ceux de confession musulmane, car financés par nos impôts. Ainsi, dans les maternelles de la capitale laïque d’un Etat laïque, Mme Mahmutovic a obtenu que l’on enseigne aux enfants une religion unique ! De peur que leurs petits ne soient mal vus, des parents ont protesté mollement contre cette mesure : ils ont rappelé qu’il n’est pas bien de faire de la discrimination ; qu’à cet âge les enfants ne s’intéressent pas à la religion ; que ces cours de religion sont financés par le budget de la ville alors que les cours d’anglais, par exemple, sont à la charge des familles. Il est plus facile d’être naïf que réaliste dans cette affaire. Or il faut admettre que l’introduction de l’enseignement de la religion musulmane dans les maternelles n’est pas que le caprice de Mme Mahmutovic, mais relève de la stratégie de recomposition d’une ­partie de la Bosnie-Herzégovine, loin de l’idée d’un Etat commun et multiethnique où tous les citoyens sont égaux. L’affaire des maternelles n’est certes pas la preuve de la réislamisation totale d’un tiers du pays. Mais c’est le ­premier pas dans la réalisation du principe cujus regio, ejus religio [telle la religion du prince, telle celle du pays]. Les enfants n’en sont que les victimes collatérales.
Dans ses interviews, Azija Mahmutovic rappelle avec moult précautions oratoires que le Djed Mraz reste quelqu’un d’étranger à la tradition musulmane – ce qui ne l’empêche pas de dire qu’elle trouve sympathiques les saint Nicolas et Père Noël catholiques [quelque 10 % des habitants de Sarajevo sont catholiques]. Mais ici personne n’est dupe : en Bosnie-Herzégovine, ce sont bien des Djed Mraz à la barbe blanche vêtus de costumes rouges qui sillonnent les rues, au grand bonheur des enfants et de leurs parents. Il est difficile de trouver une famille bosniaque qui n’ait pas dans son album de photos au moins un cliché immortalisant les enfants devant un sapin de Noël en compagnie du sympathique vieillard, un grand sac de bonbons et d’autres friandises à la main. Pendant des décennies, l’année s’est terminée par la visite du Djed Mraz dans les écoles maternelles, mais aussi dans les usines et autres institutions yougoslaves, qui leur ouvraient les portes en fonction du calendrier. Tout en étant le symbole des festivités de fin d’année, les visites du Djed Mraz communiste ont été programmées pour ne jamais coïncider avec les deux Noël religieux [le 24 décembre pour les catholiques et le 7 janvier pour les orthodoxes]. Le vieillard sympathique restait un pur produit du capitalisme, habilement adapté à une société socialiste et nationalement compliquée de surcroît. Les enfants ne comprenaient pas les enjeux politiques autour du Djed Mraz. Pour eux, il n’était qu’un vieil homme souriant qui leur apportait des cadeaux et une joie immense.
Les arguments ne manquent pas pour justifier l’expulsion du Djed Mraz de la vie des petits Sarajéviens. A commencer par celui qui veut que saint Nicolas, le Père Noël et le Djed Mraz ne sont pas les mêmes personnages, même s’ils sont vêtus du même costume, ou que les fêtes de fin d’année ont été inventées pour justifier l’hystérie consumériste. Tous ces arguments sont erronés. Le Djed Mraz est la victime collatérale d’une longue et patiente transformation de la société bosnienne laïque en une société théocratique dans laquelle les dirigeants des trois communautés religieuses (et notamment de la communauté musulmane) agissent de plus en plus ouvertement en hommes politiques. Ils interprètent la Constitution selon leurs principes religieux et retouchent à tel point les traditions que le passé ne sera plus ce qu’il a été, mais ce que des gens comme Mme Mahmutovic aurait souhaité qu’il soit.

* Écrivain, scénariste journaliste, Emir Imamovic Pirke vit à Sarajevo.

Emir Imamovic Pirke
Jutarnji List

Aucun commentaire: