mercredi 21 mai 2008

Aux Pays-Bas, un caricaturiste critique de la religion et de l'islam fait l'objet de poursuites

Aux Pays-Bas, un caricaturiste critique de la religion et de l'islam fait l'objet de poursuites
LE MONDE | 19.05.08 |



L'arrestation,aux Pays-Bas, d'un caricaturiste spécialisé dans la dénonciation de la religion, et de l'islam en particulier, a plongé dans l'émoi le monde des médias et de la politique. L'homme, qui travaille sous le pseudonyme de Gregorius Nekschot, a été interpellé à son domicile d'Amsterdam, mardi 13 mai, longuement interrogé et libéré un jour et demi plus tard. La justice, agissant sur la base d'une plainte déposée en 2005, a saisi son matériel, son ordinateur et son téléphone. Elle estime que huit de ses dessins peuvent inciter à la discrimination et à la haine.

Les conditions de l'interpellation du dessinateur ont choqué : huit policiers et deux salariés du ministère de la justice ont pénétré chez lui pour fouiller son appartement avant de l'emmener. Le 16 mai, cette affaire - une première depuis 1945 - a été évoquée à la Chambre des députés et a créé des tensions au sein du gouvernement de centre gauche.

Face à une opposition unanime et à un parti travailliste "inquiet", le ministre chrétien-démocrate de la justice, Ernst Hirsch Ballin, a nié toute atteinte à la liberté d'expression. Le lendemain, une caricature du quotidien Het Parool le montrait en taliban. "Au Danemark, les caricaturistes sont protégés ; ici, ils sont livrés à la vindicte", a déclaré Gregorius Nekschot. Le dessinateur affirme, désormais, redouter un attentat.

Des caricaturistes, souvent en désaccord avec les positions de leur confrère, lui ont apporté leur soutien, redoutant, comme l'a affirmé l'un d'eux, que l'action dont il a été l'objet soit "une autre tentative du gouvernement pour brider la liberté". Il y a quelques semaines, avant la sortie du film anti-islam Fitna réalisé par le député populiste Geert Wilders, l'attitude du gouvernement, qui avait examiné les possibilités de censurer ce court-métrage, avait déjà suscité des critiques. Aux Pays-Bas, Gregorius Nekschot est rangé dans le camp des provocateurs. Il s'est souvent vu refuser ses productions par des médias néerlandais, et l'éditeur de ses livres veut, lui aussi, rester anonyme. Ses dessins paraissent toutefois régulièrement dans le newsmagazine HP/De Tijd. Le site Web du cinéaste Theo Van Gogh, assassiné en 2004 par un islamiste radical, publiait aussi ses caricatures.

Le dessinateur nie toute conviction raciste et se réclame de Voltaire et de Jonathan Swift. A l'instar de Theo Van Gogh, il aime à se présenter comme un défenseur inconditionnel de la liberté d'expression. Son prénom fait allusion au pape Grégoire IX, qui établit le tribunal de l'Inquisition au XIIIe siècle et son nom - "une balle dans la nuque", littéralement - entend être une référence à la manière dont on exécute les opposants dans les régimes totalitaires.


MODÈLE MULTICULTUREL CONTESTÉ


Avec cette nouvelle affaire, les Pays-Bas, à peine sortis de la polémique sur le film Fitna, replongent dans leurs débats sur la tolérance, la provocation, les liens avec l'islam et, au-delà, sur l'avenir d'un modèle multiculturel contesté.

Comme lors de l'affaire Ayaan Hirsi Ali, cette ancienne députée exilée à Washington après que l'ex-ministre Rita Verdonk eut tenté de la priver de sa nationalité, comme lors de l'affaire du film de Geert Wilders, des voix s'élèvent pour contester l'attitude des autorités. Tant pour leur intransigeance à l'égard de ceux qui, aux Pays-Bas, critiquent les excès de l'islam, que pour leur prétendue faiblesse face aux courants musulmans radicaux.

Dans son dernier ouvrage, Terreur et martyre (Flammarion, 2008, 365 pages, 22,50 euros), le spécialiste français de l'islam Gilles Kepel explique que la volonté des dirigeants néerlandais est, en réalité, de constituer une sorte de "pilier islamique remis au goût du jour". Une structure soumise à la charia et au dogme, appelée à connaître son propre développement au sein de la société. D'où, estime-t-il, le rôle central confié, dans ce cadre, à Tariq Ramadan, professeur à l'université de Rotterdam et "interlocuteur quasi officiel du monde politique néerlandais", selon lui, alors qu'il est contesté ailleurs pour le "double langage" qu'il tiendrait quant à la place de l'islam dans la société européenne.

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