dimanche 31 juillet 2011

Pas de mari étranger pour les Jordaniennes

Quand il s'agit de la Jordanie, aucun bobo ne critique les questions: d'équilibre ethnique, de transmission de la nationalité, de l'assimilation, de seconde patrie ou de l'expression "de souche"...

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"Tout individu a droit à une nationalité", affirme l'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Mais Nima Habashney, parce qu'elle vit en Jordanie, n'y croit plus beaucoup. Dans le royaume hachémite, les femmes mariées à un étranger ne peuvent faire bénéficier leurs enfants et leur mari de la nationalité jordanienne.

Les uns et les autres, même s'ils ont vécu toute leur vie en Jordanie, sont des non-personnes, sans existence légale, tolérés mais sans papiers d'identité et sans droits sociaux. Cela signifie que leur situation humanitaire est bien plus dramatique que celle des quelque 1,98 million de réfugiés palestiniens, qui vivent dans le royaume avec l'aide de l'ONU. A contrario, un Jordanien marié à une étrangère lui fait automatiquement bénéficier de la nationalité jordanienne, ainsi que ses enfants ! L'article 9 de la loi sur la nationalité va plus loin : il prévoit que les enfants d'un citoyen jordanien (mâle) sont jordaniens quel que soit leur lieu de naissance ! Peu importe s'ils n'ont jamais mis les pieds sur la rive orientale du Jourdain. Nima Habashney est un petit bout de femme qui n'a pas froid aux yeux. Jordanienne de souche, elle s'est lancée en 2004 dans cette incertaine croisade contre la domination masculine au sein d'une société très tribale.

Pour être précis, elle a commencé à militer pour les droits humains (pas de l'homme spécialement) et la paix. "Nous pouvons vivre dans un même lieu, même si nous avons des idées différentes" : tel était son credo, qu'elle n'a pas tardé à faire partager à la blogosphère, puis à ses "amis" de Facebook. Mariée à un Marocain (aujourd'hui décédé), elle a six enfants, tous privés du droit à la nationalité et, en conséquence, d'avantages sociaux.

Pour eux, pas de droit de résidence, au logement et au travail, pas de droit à la santé et à l'éducation, pas de permis de conduire et, bien sûr, pas de droits civiques. La vie de Nima est devenue un parcours d'obstacles entre postes de police, administrations, écoles et centres de santé. Partout, elle est confrontée à des fonctionnaires sourds ou agressifs : "Pourquoi avez-vous épousé un étranger ? Vous avez fait une énorme erreur : maintenant, il faut la payer !"

Nima Habashney s'est dit qu'elle n'était pas seule à vivre un drame quotidien marqué par l'ostracisme, la discrimination sexuelle et la xénophobie, et qu'un combat pouvait être mené au nom d'autres femmes. Elle n'avait pas tort : selon le ministère jordanien de l'intérieur, fin 2009, 65 956 femmes partageaient son sort. Si l'on retient une moyenne de 5,4 enfants par famille, le problème concernerait 356 162 personnes.

D'où la position officielle : la Jordanie, petit pays d'environ 6,4 millions d'habitants à l'équilibre ethnique ultrasensible - une majorité de Jordaniens sont d'origine palestinienne, ce que nient les autorités -, ne peut se permettre d'intégrer autant de nouveaux citoyens. Nima Habashney s'est rendu compte que si la structure archaïque, féodale et machiste de la société jordanienne est en cause, ce n'est pas la raison essentielle pour maintenir une chape de plomb sur le sort de ces femmes dont la famille est apatride dans leur propre pays.

Curieusement, relève Nermeen Murad, directrice du centre d'information de la Fondation King Hussein, le nombre des femmes concernées n'était que de 16 000 en 2004. "Il y a une exagération officielle, insiste-t-elle, pour montrer qu'il est impossible d'intégrer autant de gens ." Solidaire de la lutte menée par Nima Habashney, Mme Murad assure que "c'est une question de droits de l'homme et de discrimination, pas une question politique". Pourtant, elle répète à ses interlocuteurs officiels que ces nouveaux citoyens "ne deviendront pas Palestiniens en Jordanie, mais Jordaniens à part entière !".

Le gouvernement rétorque que la plupart des femmes concernées sont mariées à des Palestiniens (en réalité, les maris égyptiens sont plus nombreux), et qu'il n'est pas question d'encourager ceux-ci à quitter la Cisjordanie et Gaza, en leur faisant miroiter une "patrie alternative" en Jordanie. Vieux débat... Si Nima Habashney se sent prise entre deux feux, c'est que les Palestiniens sont loin de l'encourager : "Ils me disent "si vous videz la Palestine, vous faites le jeu d'Israël"."

La reine Rania, épouse du roi Abdallah II, a fait une tentative courageuse en 2002, en annonçant que le gouvernement envisageait d'accorder aux femmes jordaniennes la possibilité de transmettre leur citoyenneté à leurs enfants. Ce qui a provoqué une levée de boucliers de la part des tribus, socles de la monarchie. Un "amendement à la déclaration de la reine" a été publié pour faire oublier au plus vite ce brûlot, mais le mal était fait : l'incident a accru la méfiance des Transjordaniens (Jordaniens de souche) envers la reine, d'origine palestinienne.

"Le problème palestinien, ce n'est pas mon affaire ; mon souci ce sont nos enfants, qui n'ont ni présent ni avenir dans ce pays", assure Nima Habashney. En réalité, c'est le noeud du problème : depuis 2003, plusieurs ministres ont souligné que la question des femmes jordaniennes mariées à des étrangers sera réglée le jour où le conflit israélo-palestinien le sera aussi... Ce qui laisse Nima Habashney avec sa seule détermination. Est-ce une conséquence du "printemps arabe" ? "Avant, insiste-t-elle, évoquer cette question était une ligne rouge. Désormais, nous n'allons plus rester silencieuses : nous allons parler, manifester, nous ne nous arrêterons plus !".

http://lemonde.fr/proche-orient/article/2011/07/30/pas-de-mari-etranger-pour-les-jordaniennes_1554482_3218.html

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