lundi 11 juillet 2011

Aya, symbole de la lutte palestinienne contre les "crimes d'honneur"

Agence France-Presse

Par Samih CHAHINE
SOURIF (Territoires palestiniens)

Retrouvée morte et ligotée au fond d'un puits, Aya n'aura pas été qu'une nouvelle victime palestinienne de l'indulgence pour les "crimes d'honneur", mais aura suscité une mobilisation sans précédent forçant les autorités à réagir.
Face à l'émotion du village et de l'opinion, le président Mahmoud Abbas a annoncé la révision de la loi: l’invocation de l’honneur de la famille ne permettra plus en principe d’obtenir des circonstances atténuantes et donc des peines clémentes pour ce genre de crimes.
Contrairement à de précédents meurtres de jeunes filles accusées d'avoir "déshonoré" leur famille, celui-ci n'a pas été étouffé. La famille d'Aya al-Baradeiyah, 21 ans, a brisé la chape de silence et de honte qui entoure habituellement ce type de crime et mobilisé son village de Sourif en Cisjordanie, révulsé par un assassinat particulièrement odieux.
Pour la première fois, à cause du caractère épouvantable du fait divers mais aussi du combat des féministes, l'omertà est rompue.
Etudiante en anglais à l'Université de Hébron dans le sud du territoire palestinien, Aya, qui portait le voile, avait disparu depuis plus d'un an.
Son corps a été découvert en mai dans un puits où son oncle l'avait abandonnée, avec l'aide de deux complices, parce qu'il la soupçonnait d'entretenir une relation clandestine avec un prétendant éconduit par la famille.
"C'est un crime atroce, ils l'ont attachée à l'arrière de la voiture et traînée jusqu'au puits, avant de la frapper et de l'y jeter ligotée et vivante", a affirmé à l'AFP Ramadan Awad, chef de la police de Hébron (sud).
L'oncle "est un homme très strict, appartenant à un de ces groupes pour la 'répression du vice et la promotion de la vertu'", à l'image des brigades officielles en Arabie saoudite, a indiqué une source de sécurité.
"C'était une fille courageuse et ambitieuse qui voulait obtenir son diplôme et aimait peindre", témoigne sa mère, Fatima.
Dès l'annonce de la macabre découverte, des manifestations ont été organisées dans le village et ailleurs en Cisjordanie pour réclamer que les meurtriers ne puissent bénéficier de la mansuétude prévue par le code pénal jordanien de 1960, en vigueur en Cisjordanie, pour les auteurs de "crimes d'honneur".
Moins d'une semaine après, le secrétaire général de la présidence palestinienne Tayeb Abdelrahim téléphonait pendant une émission télévisée en direct de Sourif pour annoncer que M. Abbas allait promulguer par décret un amendement excluant "l'honneur" des circonstances atténuantes.
Un amendement en ce sens est déposé depuis 2005 au Conseil législatif, paralysé depuis 2007 par la division entre le Hamas et le Fatah de M. Abbas.
"Rien ne nous rendra Aya, mais le décret du président est excellent, ces criminels doivent être exécutés, le président ne doit leur accorder aucune clémence, afin de faire un exemple", estime Ibrahim al-Baradeiyah, le père de la victime.
"C'est parce que nous avons élevé la voix, frappé à toutes les portes, que la solidarité s'est créée autour de l'affaire d'Aya, devenue celle de toutes les filles", explique Yasser al-Baradeiyah, un parent. "Autrement ce crime aurait été ignoré comme tous les autres".
Une nette majorité de l'opinion palestinienne (75%) approuve la modification de la loi (contre 19%), selon un sondage réalisé mi-juin.
"La décision du président est le couronnement du combat féministe, affirme Amal al-Joueabeh, coordinatrice du Centre de conseil juridique et social pour les femmes à Hébron.
"L'amendement a été adopté en 2010 en Conseil des ministres et a reçu l'approbation initiale du président mais celui-ci attendait l'avis d'Al-Azhar", au Caire, la plus prestigieuse institution sunnite.
"L'horreur de ce crime, la solidarité populaire et la mobilisation immédiate des organisations féministes, ajoutées à la couverture intensive des médias, ont été les principaux facteurs de cette décision historique", estime-t-elle.
"L'affaire de la jeune Aya aura été la paille qui brise le dos du chameau", résume Hassan al-Aoura, conseiller aux affaires juridiques de M. Abbas, soulignant que, pour être définitivement adopté, l'amendement doit encore être approuvé par le Conseil législatif.
Mais Rania al-Sinjilaoui, employée dans un centre d'aide juridique pour les femmes, craint que l'amendement "ne contribue pas beaucoup à arrêter ces meurtres, car la question de déterminer si le mobile de l'assassin était ou non l'honneur reste à l'appréciation du juge".
Selon des organisations féministes, 29 femmes ont été tuées dans des crimes de ce type entre 2007 et 2010 et neuf autres forcées au suicide dans les Territoires palestiniens.

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