mardi 11 août 2009

Les Chinois, un casse-tête algérien

Immigration. Des rixes entre commerçants asiatiques et locaux ont fait dix blessés près d’Alger.


Des camions qui apportent de la marchandise dans les magasins d’électroménager importé, des groupes de commerçants chinois qui attendent assis devant leur boutique l’arrivée de clients, et des Algériens qui tiennent les murs du quartier : c’est le quotidien ordinaire de la cité Boushaki à Bab Ezzouar, dans la banlieue est d’Alger. On en oublierait presque qu’il y a une semaine de violents affrontements éclataient entre Chinois et Algériens. Presque, si ce n’était les patrouilles incessantes de policiers dans leurs imposants 4x4, roulant à petite vitesse dans les rues étroites et défoncées, et celles plus discrètes d’agents en civil.

Le conflit a éclaté lundi dernier. Un jeune Chinois s’est garé devant la porte d’une boutique et, lorsque le commerçant lui a demandé de déplacer sa voiture pour que les clients puissent entrer, le conducteur a refusé. «Il a insulté sa mère en arabe ! Alors, fou de rage, l’Algérien est allé appeler ses frères à l’étage. Dès qu’il est redescendu, il s’est retrouvé nez à nez avec des dizaines de Chinois armés de pelles, de pioches et de barres de fer», raconte un voisin, dont le frère, Abdelkrim, qui tient la boutique voisine, a été blessé dans les affrontements. «Des membres de la famille du commerçant sont sortis pour tenter de les calmer, et mon frère, qui se trouvait là, s’est fait lyncher», ajoute-t-il, montrant des photos et un film, pris au téléphone portable, des blessures de son frère.

La dispute a tourné à la bataille de rue avec une cinquantaine d’habitants de chaque côté et une dizaine de blessés. Le lendemain, des boutiques chinoises ont été saccagées. Les affrontements ont été largement relayés par une partie de la presse arabophone, qui n’a pas hésité à mettre en une la photo d’un blessé avec ce titre : «Une Chinoise lance un cocktail Molotov sur un jeune.»

Une semaine plus tard, les habitants chinois du quartier font profil bas et refusent de répondre aux questions. Après avoir passé trois jours cloîtrés chez eux, rideau baissé, ils ont repris leurs affaires, sans doute rassurés par la présence policière. L’ambassadeur de Chine, Yuhe Liu, est venu sur les lieux, sous bonne escorte, dans une volonté de calmer le jeu en qualifiant les affrontements de lundi «d’incidents isolés» et en appelant la communauté chinoise à «respecter les lois et coutumes locales». Mais Pékin, via la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jiang Yu, a réclamé que l’Algérie «punisse les responsables selon la loi». Car, pour les autorités chinoises, les Algériens sont aussi du côté des agresseurs. Une version confirmée par certains habitants algériens du quartier, qui expliquent discrètement que «les fautes ne sont pas d’un seul côté». De leur côté, la majorité des habitants ne veut pas en rester là. Ils demandent, dans une pétition adressée à la mairie, que les Chinois partent.

Si ces troubles sont les premiers de cette ampleur, ils illustrent bien un certain malaise dans la cohabitation entre les deux communautés. A l’origine, la cité Boushaki était habitée quasi exclusivement par des familles musulmanes très pratiquantes. Les hommes portent la barbe et le kamis, une longue robe blanche caractéristique des salafistes. L’arrivée des Chinois date de ces trois dernières années. Venus pour travailler sur les grands chantiers de BTP, ils se sont installés ici et ont ouvert des commerces de textiles bon marché. Aujourd’hui, ils seraient près de 200 dans la cité, et ne s’embarrassent pas beaucoup des traditions locales, selon leurs voisins algériens. «Ils ne respectent pas notre religion, ils jouent aux cartes dehors jusqu’à deux ou trois heures du matin en buvant de l’alcool. Eux et leurs femmes portent de plus en plus des tenues dénudées, et nous, qui sommes très pratiquants et qui habitons juste en face, nous ne pouvons même plus ouvrir les fenêtres qui donnent sur leurs appartements», raconte un habitant du quartier.

Pour beaucoup, les affrontements de la semaine passée sont l’incident de trop. «Ici, c’est devenu le quartier chinois, d’ailleurs tout le monde l’appelle comme ça. Ils ont profité de notre bonté pour s’installer et maintenant ils veulent prendre tout le quartier. Ici, c’est un endroit respectable, les gens sont pratiquants, nous ne voulons pas de gens qui ne respectent pas notre religion. Nous sommes d’accord pour qu’ils restent en Algérie, mais qu’ils aillent dans un autre endroit», s’emporte un commerçant. «Nous n’avons rien contre le fait qu’ils travaillent ici, mais nous voulons qu’ils respectent nos lois, ou alors qu’ils vivent isolés, pas avec la société algérienne car, là, nous avons été humiliés», renchérit un autre. (Un peu ce que les français vivent chaque jour avec ces chers algériens en fait...)

La tension ambiante témoigne d’un malaise plus large dans le pays, où on a du mal à accepter cette nouvelle immigration dont le dynamisme économique suscite des jalousies. En quelques années, plus de 30 000 Chinois ont émigré en Algérie. C’est la population étrangère la plus nombreuse dans le pays. D’abord cantonnés dans des bases de vie isolées sur les chantiers où ils travaillaient, les Chinois s’installent de plus en plus au cœur des villes, là où les différences de cultures et de modes de vie ont souvent plus de mal à coexister.

http://www.liberation.fr/monde/0101584631-les-chinois-un-casse-tete-algerien

Aucun commentaire: