mardi 15 février 2011

" C'est pas ma maîtresse, c'est une femme."

Chronique ordinaire d'une école qui va mal

nicematin.com

Indiscipline, irrespect, montée du sexisme envers les maîtresses... Autant de maux dénoncés par des instits expérimentés qui ne veulent plus se taire

«On nous demande de tenir fermement le couvercle d'une marmite scolaire en pleine ébullition qui, chaque jour, déborde un peu plus. Et surtout de ne rien dire ! » Cette remarque d'un instit' expérimenté d'une école niçoise n'est pas la seule. Pour recevoir des mails et coups de fils d'instituteurs au bord de la crise de nerf, le SNU-Ipp, syndicat enseignant, confirme cette démotivation qui gagne les instituteurs chevronnés face à une école qui va mal. À cause d'une société où tout va trop vite, où les valeurs se délitent, où les difficultés de vie des parents supplantent l'avenir scolaire de leurs enfants qui ne sont plus encadrés, ni cadrés. Tout cela se traduit en classe par des problèmes de concentration, rejet de l'autorité, montée du sexisme vis-à-vis des maîtresses...

Exacerbées dans les quartiers difficiles, ces difficultés touchent aussi les écoles du centre-ville. Au grand désarroi d'enseignants qui se comparent aux soldats de Verdun terrés dans leurs tranchées. Mais voilà aujourd'hui, ils ne veulent plus se taire. Chronique ordinaire de leur combat scolaire.

Zapping scolaire

« Sur une classe de 22 élèves, cinq sont studieux, attentifs et polis. Quatre présentent des troubles sévères du comportement. Les 13 autres se lèvent en classe, n'écoutent pas l'instit, jettent leur cahier en l'air pour ne pas faire un exercice de conjugaison, raconte un enseignant à L'Ariane. Comment faire cours normalement ? Gavés de jeux vidéo, d'Internet, ces enfants zappent les cours comme s'il s'agissait d'un programme télévisé. »

Enseignante dans un quartier sans problème, Sylvie est confrontée à ce même déficit de concentration. Dans sa classe de CM2, elle alterne leçons et travail en petits groupes. « 45 minutes sur les conjugaisons, c'est trop pour eux. Ils ont le nez en l'air, les yeux gros comme des billes. Alors j'arrête tout et je les fais chanter. Pour enseigner, aujourd'hui, il faut s'adapter aux enfants. Être inventif pour que les élèves soient acteurs de la leçon. Pour le calcul mental, par exemple, les élèves se mettent debout et le premier qui se trompe s'assoit et sort du jeu... »

«Qu'est-ce tu veux, toi ? »

La discipline représente le point noir de l'école. Beaucoup d'enseignants se disent dépassés par leurs élèves. Ils récoltent bavardages, chahuts, quand ce ne sont pas des insultes qui, fait nouveau, ciblent les « maîtresses ». « Dans mon école, une enseignante est venue remplacer un instit malade. C'était le chahut général, raconte un directeur. J'ai dû intervenir pour rappeler à l'ordre un élève de 8 ans en lui disant d'obéir à sa maîtresse. « C'est pas ma maîtresse, m'a-t-il répondu. C'est une femme. » Un gosse de 8 ans n'invente rien. Il reproduit ce qu'il voit chez lui. » Secrétaire départemental du SNU-Ipp, syndicat enseignant, Gilles Jean assiste à cette montée inquiétante du sexisme. « Régulièrement, je reçois des mails d'enseignantes qui craquent. Les élèves les tutoient, les interpellent à coup de « qu'est-ce tu veux, toi, ? » « j'te parle pas ! » Certaines n'en peuvent plus, dépriment. Il faudrait une formation pour apprendre aux enseignants à gérer les conflits en classe. »

« En ZEP, deux tiers des élèves en graves difficultés »

« Dès qu'un élève est en échec scolaire, on agite le PPRE (programme personnalisé de réussite éducative) comme une baguette magique. Alors, on réunit une équipe éducative pour lister les difficultés de l'élève et s'interroger sur la manière d'y remédier. Cela fait du bien à tout le monde, ironise un directeur d'une école niçoise. Surtout à l'enseignant qui, en parlant, évacue son impuissance. Quant à l'élève, il reste avec ses difficultés. Parce qu'on n'arrive pas à voir ses parents pour tenter, avec eux, de redresser la barre. Parce qu'en échec scolaire, on ne peut pas lui donner des devoirs en plus. Alors, on remet le couvercle sur la marmite et tout le monde se tait. »

Pas un hasard, si selon un enseignant de L'Ariane, les évaluations de CM2 sont mauvaises. « Les premiers résultats viennent de tomber dans les écoles. Et dans les zones d'éducation prioritaire, ils ne sont pas bons. Imaginez ! Les deux tiers des élèves de CM2 ont de graves lacunes en français et en maths. » Parce que selon lui, rien ne change. « Uniquement les sigles ! De ZEP, nous sommes passés à RAR (réseau ambition réussite) pour basculer bientôt dans ECLAIR (École, collège, lycée pour l'ambition, l'innovation et la réussite). Bref, un coup de peinture de plus ! »

Que faire alors ? Pour ces instits, « il faut mettre le paquet en maternelle. Enseigner le français comme une langue étrangère pour offrir à ces enfants un bain linguistique qu'ils n'ont pas à la maison. Comment peuvent-ils résoudre un problème en maths, s'ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent ? C'est par la maîtrise du français et en remettant le respect au centre des valeurs que l'on sauvera l'école. »

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