dimanche 13 juillet 2008

Le pourcentage de Néerlandais déclarant en­visager sérieusement de partir est passé de 26 à 38 %

SUÈDE • Pour les Bataves, le bonheur est dans la forêt scandinave

De plus en plus de Néerlandais envisagent de quitter leur pays pour échapper à la surpopulation et aux tensions communautaires. Pour ceux, souvent aisés, qui franchissent le pas, la Suède est la destination idéale.

Le plat pays est entièrement quadrillé. Comme un échiquier. Là où ce ne sont pas des agglomérations, ce sont des terres cultivées, des canaux et des axes de transport. Et des zones industrielles. De nature au sens courant du terme, point. En Suède, la densité de population est de 21 habitants par kilomètre carré. En Hollande, la province la plus densément peuplée des Pays-Bas, elle est de 1 100 habitants par kilomètre carré. Par ailleurs, les Pays-Bas souffrent de problèmes postcoloniaux. L’intégration des immigrés se passe mal et, ces dernières années, la montée de la xénophobie a déclenché un conflit ouvert entre Néerlandais et musulmans.
Les Néerlandais ne se plaisent plus chez eux. Depuis 2006, la société Buysse analyse leur désir d’expatriation. En seulement deux ans, le pourcentage de Néerlandais déclarant en­visager sérieusement de partir est passé de 26 à 38 % – environ 6 millions de personnes. D’ordinaire, un tel chiffre susciterait l’inquiétude. Mais il s’agit ici de 6 millions d’Occidentaux instruits, dotés de bonnes connaissances linguistiques et d’un esprit d’entreprise développé. D’où une véritable foire d’empoigne pour les séduire.
Le Salon de l’expatriation, qui se tient chaque année à Utrecht, accueille des délégations de tous les pays occidentaux à faible densité de population. “Venez chez nous”, disent-ils. La Nouvelle-Zélande plaît pour son climat exceptionnel et la richesse de sa nature, l’Australie pour les salaires qu’elle accorde aux ingénieurs et le Canada pour ses grands espaces et sa nature préservée. Mais c’est la Suède qui domine, avec ses nombreux stands placés au centre du salon. Le Värmland [province de l’ouest de ce pays] a été le premier à comprendre le potentiel des “envies d’ailleurs” des Néerlandais. Depuis le changement de millénaire, ceux-ci y ont acheté près de 300 propriétés.
Près de 70 petites en­treprises ont été créées par les expatriés dans les petites cités industrielles en déclin de Hagfors et Munkfors. Des bus scolaires ont été ajoutés alors qu’il était prévu d’en supprimer, et le petit commerce s’est développé. L’accroissement de la concurrence a fait progressivement grimper le prix des maisons. Mais le retour de bâton ne saurait tarder. De nombreux Néerlandais prétendent que le Värmland est devenu trop néerlandais, ce qui complique leur intégration dans le pays. Ils ne veulent pas vivre en petites communautés.
Aujourd’hui, près d’une trentaine de communes suédoises se pressent au Salon de l’expatriation. Aux yeux d’un Suédois, leurs stands sont pour la plupart d’un ridicule achevé, avec leurs drapeaux, leurs photos de couchers de soleil et leurs tas de bois coupé ou leurs rennes. Mais ce choix s’avère rapidement judicieux. La forêt, les rennes et les petites maisons rouges sont tout simplement la Suède telle que l’imaginent les Néerlandais. Une campagne idéale, qui semblait à jamais dissoute dans la grande Europe, mais qui est parvenue à subsister dans ce pays nordique.

Troquer l’agressivité pour la chaleur humaine

“Quand on a une image en tête, on cherche un environnement qui correspond à cette image”, explique Marco Eimermann, qui vient de se lancer dans une thèse de géographie appliquée sur l’immigration néerlandaise en Suède. Les Néerlandais voient dans la Suède l’exact opposé des Pays-Bas. Ils entendent troquer l’agressivité, les bouchons, la cohue et un environnement dégradé contre la chaleur humaine, le calme, une nature belle et de vrais hivers.
“Je ne connais personne qui ait été déçu par la Suède”, affirme Patricia van Trigt. Elle s’est installée en Suède avec son époux et leurs trois enfants il y a six ans. Aux Pays-Bas, elle était secrétaire, et son mari responsable chez Heineken. En Dalécarlie, la moyenne d’âge de la population active est particulièrement élevée, et la région va devoir faire venir 1 000 personnes par an jusqu’en 2020. Quelques Néerlandais seraient donc les bienvenus. Pour obtenir le droit de séjour en Suède, les ressortissants de l’Union européenne doivent avoir un emploi, posséder une société ou être étudiants. Mais un compte bien garni peut suffire.
Mais beaucoup de Suédois présents au salon manifestent leur inquiétude devant des projets trop téméraires qui risqueraient de faire de ces Néerlandais des fardeaux. Quand ils n’auront plus d’argent, ils ne pourront plus repartir, n’ayant plus les moyens de s’offrir un logement sur le marché de l’immobilier néerlandais. De bienfaiteurs, les Néerlandais pourraient alors se muer en touristes sociaux. Une perspective effrayante.
Pour beaucoup, l’immigration doit être maintenue à un niveau “raisonnable”. Les prix risquent de flamber dans les régions attractives et de créer une situation dans laquelle les locaux n’auraient plus les moyens de se loger.
A la lecture des statistiques, qui évaluent à 120 000 le nombre de Néer­landais envisageant d’émigrer vers la Suède, on se dit que cette inquiétude n’est peut-être pas tout à fait infondée. La situation politique aux Pays-Bas est peut-être en cause. Mais il est difficile de savoir si ce sont l’islamophobie ou les islamistes que fuient les Néerlandais. Quoi qu’il en soit, ils veulent fuir. Et de préférence vers une maison de bois rouge aux coins blancs.

Po Tidholm
Dagens Nyheter
Courrier International

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