Dialogues de sourds
Si l’islamophobie se renforce, il faut y voir un changement d’état d’esprit. Les Européens ont tourné le dos au relativisme culturel et ne veulent plus s’autoflageller, explique un intellectuel tunisien.
Pas une semaine ne passe sans qu’un fait divers vienne nuire aux Arabes ou à l’islam, à moins que ce ne soit aux deux à la fois. Une situation qui semble appelée à durer. De leur côté, Arabes et musulmans peuvent certes offenser les autres sans s’en rendre compte. Et il n’existe pas de dialogue véritable qui permette d’exposer de façon franche et précise les différents points de vue, la plupart des échanges n’arrivant pas à se départir de la langue de bois ni des platitudes convenues. N’oublions pas non plus que le discours dominant, dans le monde musulman, est extrêmement hostile à l’Occident. Si on devait traduire aux Occidentaux toutes les médisances dont ils sont l’objet, dans les sermons religieux, les déclarations politiques, les propos dans les écoles, les universités ou encore dans les cafés et les lieux publics, ils seraient tout à fait en droit de se plaindre de l’“occidentalophobie” ! Ce qui était encore admissible hier ne l’est plus aujourd’hui, en raison des bouleversements survenus récemment. Retenons-en trois qui nous paraissent fondamentaux. A commencer par le sentiment de culpabilité qui taraudait l’Europe de la seconde moitié du siècle dernier, du fait de son passé colonial. Les mouvements de libération du tiers-monde ainsi que les appels nombreux et suivis en faveur de l’indépendance ont eu un impact profond en Occident, l’incitant à abandonner ses rêves de mission civilisatrice pour admettre le principe d’indépendance des peuples et leur droit à l’autodétermination. Le complexe de supériorité s’est mué en culpabilité et en besoin de faire repentance. Dans cette perspective, l’Occident ignore le discours hostile qui le vise, à moins qu’il ne se confonde en excuses… A y regarder de près, il apparaît que c’est l’Occident lui-même qui a forgé ce sentiment de culpabilité. Il est le fait de sa propre intelligentsia. Nous n’y sommes pour rien. Certains de ses intellectuels ont toutefois changé d’attitude aujourd’hui. En cherchant à exploiter le filon de l’occidentalophobie, faute de choses intelligentes à dire, ils rejoignent nos intellectuels dans la médiocrité. Ce sont les historiens occidentaux qui nous ont donné des arguments Le second aspect du changement réside dans le fait que jadis l’Europe laïque regardait d’un bon œil l’introduction de l’islam dans ses sociétés. Celui-ci venait enrichir le pluralisme religieux et avait également le mérite d’affaiblir l’Eglise sans porter préjudice à la société ou à la laïcité. Il faut dire que l’Europe était persuadée que l’accroissement démographique des musulmans [d’Europe] resterait négligeable, de même que le rôle que ceux-ci avaient l’intention de jouer dans la société. Il n’est pas non plus excessif de dire que ce sont les tenants de la laïcité en Occident qui ont conforté ce sentiment de culpabilité en rouvrant des dossiers antérieurs à la colonisation, celui des croisades par exemple, et que ce sont des historiens occidentaux qui, en en déterrant tous les aspects et les détails, nous ont livré la matière pour étayer nos polémiques et notre condamnation de cette période. De plus, ces dernières décennies, des courants postmodernistes ont traversé la culture européenne. Or ces courants reposent sur le principe de la relativité, en visant à réhabiliter les marginalisés et en faisant porter toute la responsabilité sur le plus fort, l’Occident en l’occurrence. Une culture de l’autoflagellation et du mea culpa. Cette tendance s’est essoufflée de nos jours, elle a été supplantée par des philosophies nouvelles prônant la supériorité des valeurs occidentales qui se réclament de l’universalisme. En dépit du danger de dérapage inhérent à cette vision des choses, nous ne pouvons pas la rejeter complètement. Il faut reconnaître que des notions comme celles de la démocratie, des droits de l’homme, de la rationalité, de la science, sont d’inspiration occidentale. Ceux qui se perdent en diatribes contre l’Occident font parvenir leurs voix au reste du monde grâce aux satellites ou à Internet ou à d’autres réseaux inventés par l’Occident. Quand, à force de vitupérer, l’un de ces clowns attrape un mal de tête, c’est vers une pharmacie où se vendent des médicaments fabriqués dans un laboratoire occidental qu’il se rue au lieu d’aller puiser dans ses recettes de grand-mère. Voilà ce que j’avais à ajouter à ce chapitre de l’islamophobie, laquelle reste indubitablement à combattre.
Mohammad Al-Haddad Al Hayat
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