La capitale veut durcir les mesures à l'encontre des mineurs récidivistes, qui seraient à 82,3 % issus de l'immigration.
L'Allemagne découvre sa délinquance juvénile, notamment à Berlin. La capitale allemande doit faire face depuis deux ans à une poussée de violence venant de jeunes issus de l'immigration. Décidées à mettre fin à des années de laxisme, les autorités de la ville viennent d'adopter un programme de lutte contre les mineurs récidivistes, déjà baptisé «modèle berlinois» par la presse.
Il pourrait être étendu dans le reste du pays. Les 1 200 délinquants récidivistes (plus de cinq délits à leur actif) de la capitale auront désormais un procureur chargé du suivi de leur carrière criminelle. Violences, rackets, vols, trafics, insultes... chacun de leurs faits et gestes sera consigné sur un dossier unique. Les dépositions ne seront plus enregistrées au commissariat, mais à la maison, en présence des parents, qui ignorent bien souvent les agissements de leur progéniture hors leurs murs... L'objectif est d'éviter que davantage de jeunes ne passent le cap du «délit en série». «A ce stade, les jeunes sont encore souvent influençables, estime le procureur Andreas Behm. On peut encore éviter qu'ils ne glissent vers la criminalité.»
Environ 500 mineurs berlinois figurent à l'heure actuelle au fichier des «délinquants intensifs» (plus de dix délits par an). Le fichier avait été mis en place en 2003 après la révélation du scandale «Mahmoud», du nom du plus célèbre délinquant d'Allemagne, un Libanais de 24 ans, actuellement en cavale, connu de la police depuis l'âge de 10 ans et qui affiche 160 délits à son actif. «Au rythme actuel, on passera prochainement le cap des 600 personnes», avertit la police, désabusée par l'inefficacité de la justice. En 2006, la délinquance juvénile a augmenté de 5 % à Berlin et dans les écoles, la violence a progressé de 40 %. Il y a également de plus en plus de vols à main armée. Pourtant, le nombre des mandats d'arrêt a reculé de 10 % l'an passé.
Le rapport 2006 de la police souligne que 82,3 % des récidivistes sont issus de l'immigration. En tête de liste figurent les Libanais d'origine palestinienne et les Turcs. Dans le quartier à problèmes de Neukölln, «seuls cinq des cent trente délinquants récidivistes fichés ont un nom allemand». «Selon les statistiques, un tiers des jeunes issus de l'immigration, mais seulement un Allemand de souche sur huit, aura un jour ou l'autre affaire à la police», insiste le président de la police berlinoise, Dieter Glietsch. La structure familiale serait le principal facteur de violence : «A la maison, le père est le chef incontesté. Lui dire non ou lui tenir tête est impossible. Ne reste que la rue pour y évacuer ses frustrations. En situation d'échec scolaire, les jeunes issus de l'immigration n'ont souvent aucune perspective dans la société.»
Le criminologue Claudius Ohder a étudié le dossier de 250 délinquants «intensifs». «Beaucoup proviennent de familles victimes de discriminations dans leur pays d'origine : Albanais, Kurdes, Bosniaques et surtout Palestiniens... Exode et exil font partie des traumatismes le plus souvent vécus pendant l'enfance. La plupart des dossiers font état de graves carences dans l'éducation, voire de violences domestiques. Beaucoup sont arrivés en Allemagne assez tard, sans parler allemand, et ont rapidement perdu pied à l'école. Un cinquième d'entre eux seulement a un diplôme. Les problèmes de violence commencent généralement dès le primaire. 24 % d'entre eux ont régulièrement séché l'école. Mais seuls 15 % ont été confrontés à des mesures de discipline telles que l'exclusion d'un établissement scolaire», précise-t-il. «Il faut arrêter de se voiler la face : les Allemands ont trop longtemps occulté le problème de la violence des jeunes immigrés, au nom d'une vision tolérante romantique du respect de la différence des cultures...» insiste Gilles Duhem, un urbaniste français qui travaille à Neukölln pour le compte d'une association de quartier.
Effarés par la flambée des banlieues françaises de novembre 2005, les Allemands se sont longtemps crus à l'abri. A l'époque, la classe politique d'outre-Rhin se plaisait à pointer les différences avec l'absence de tradition coloniale en Allemagne et la prédominance du droit du sang dans l'attribution de la nationalité. Les jeunes issus de l'immigration, majoritairement dépourvus de la nationalité allemande, ont «intérêt à se tenir à carreau, sous peine de perdre leur permis de séjour», selon les arguments des politiques. Mais surtout l'absence de «ghettos excentrés», avec des logements sociaux plantés au coeur des villes au moment de la reconstruction, était censée protéger le pays d'une flambée de violence des jeunes. Rattrapé par la réalité, le gouvernement fédéral envisage aujourd'hui d'étendre l'éventail des mesures à la disposition de la justice : la possibilité notamment de garder en prison les délinquants les plus dangereux, même en fin de peine.
Nathalie VERSIEUX
Libération, 3 mars 2007
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