dimanche 18 juillet 2010

Yves Lacoste, La Question post-coloniale

Yves Lacoste : "Expliquer la décolonisation aux jeunes issus de l'immigration"


Le géopolitologue s’inquiète de l’impact de la question postcoloniale sur les Français d’origine immigrée et revient sur la présence des armées africaines au défilé du 14 Juillet.

Fondateur de la revue Hérodote en 1976, Yves Lacoste considère la géographie comme une discipline aidant à penser le politique, les conflits et les rapports de pouvoirs entre Etats ou zones géographiques. Il a publié La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre (Maspéro, 1976, La Découverte, 1985), Dictionnaire de géopolitique (Flammarion, 1993), Géopolitique. La longue histoire d’aujourd’hui (Larousse, 2006). (...)

Peut-on considérer la situation des Français d’origine immigrée comme une continuation du processus colonial ?

Absolument pas. Cet amalgame, que reprennent les Indigènes de la République, sous-estime les conditions d’existence exécrables des indigènes colonisés. Les Français d’origine immigrée ont le droit de vote, les allocations familiales, le RMI, etc. Ce n’était pas le cas des indigènes dans les colonies.

Observez-vous une détérioration du processus d’intégration républicain ?

Oui. Au XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe, la France a été le seul pays d’immigration en Europe. Les immigrés venaient de différents pays européens qui n’ont jamais été en guerre avec la France. Leurs enfants nés en France sont devenus citoyens français de façon automatique pour que les garçons soient obligés de faire le service militaire. Les enfants de ces immigrés, majoritairement de culture chrétienne, ont cherché à épouser des Français et des Françaises de souche pour s’assimiler. Après la Seconde Guerre mondiale, l’immigration est plutôt maghrébine. Même après l’indépendance de leur pays, nombre d’Algériens s’installent en France sans oublier l’oppression coloniale et la guerre que leurs parents et eux-mêmes ont subies. Ce sont aussi des musulmans qui ne souhaitent pas que leurs filles épousent des non-musulmans (la réciproque est vraie pour les Français de souche). Enfin, après les attentats de 1995 en France et ceux du 11 Septembre, le mouvement islamiste rend plus difficile l’intégration des immigrés musulmans. (...)

Vous dites qu’une des causes du malaise des jeunes générations d’origine africaine est la méconnaissance de leur histoire…

Les jeunes issus de l’immigration ne comprennent pas pourquoi ils sont nés en France, parlent la langue des ex-colonialistes et sont français. Aux jeunes d’origine algérienne, notamment de Kabylie, les grands-pères n’ont pas toujours expliqué pourquoi ils ont dû quitter leur pays. Il faut dire à ces jeunes comment se sont déroulées les luttes pour l’indépendance. Elles n’ont pas été simples, comme le montre l’analyse géopolitique.

Comment analysez-vous le positionnement d’un mouvement tel que les Indigènes de la République ?

Je comprends les animateurs de ce mouvement et j’ai reproduit in extenso leur manifeste dans mon livre. Ce sont pour beaucoup des jeunes issus de l’immigration qui ont fait des études supérieures, ont soutenu des thèses mais n’ont pas trouvé de travail comme chercheur ou maître de conférences. Ils estiment être victimes de discrimination, ce qui n’est sans doute pas faux. Mais dans la conjoncture actuelle, il est courant d’avoir une centaine de candidats pour un seul poste de maître de conférences.

Débat sur l’identité nationale, heurts entre jeunes et police, pensions des anciens combattants d’Afrique, discriminations aggravées…
La République n’a-t-elle pas de grandes responsabilités dans la situation des descendants des colonisés ?

Certainement. Mais l’une des principales erreurs, à l’origine, fut de réserver les HLM des grands ensembles aux familles nombreuses, ce qui partait d’un bon sentiment. Mais cela a abouti à la concentration sur des territoires très restreints des familles issues de l’immigration. Le plus grave, c’est que cette ghettoïsation est un atout formidable pour l’extrême droite.

Les armées africaines vont défiler le 14 juillet sur les Champs-Elysées. Comment interpréter ce symbole ?

La plupart des dirigeants africains ont été sous officiers dans l’armée coloniale française. Par cette opération de marketing politique, il s’agit de leur redonner du prestige à travers une sorte de fraternité d’armes, de renouer ou de renforcer les relations entre les dirigeants français et les appareils politiques africains.

Les questions de l’après-colonialisme ont ressurgi avec l’équipe de France de football.

L’équipe de France est majoritairement composée de joueurs de couleur, mais il faut faire attention aux discours qui confondent comportements, couleur de peau et religion. Les analyses d’Alain Finkielkraut sur le football m’intéressaient au début, quand il montrait les liens entre ce sport et la représentation de la nation – car la nation est une représentation, une construction mentale. Mais là, ça dérape. Par ailleurs, il est clair que les joueurs de l’équipe de France ne peuvent être considérés comme des emblèmes de la situation post-coloniale, ils sont millionnaires et ne vivent plus depuis longtemps dans les cités.

Yves Lacoste, La Question post-coloniale (Fayard), 421p., 24 euros.


http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/46989/date/2010-07-18/article/yves-lacoste-expliquer-la-decolonisation-aux-jeunes-issus-de-limmigration/

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