"Je tremble pour mes filles." Tous les ans, Fanta appréhende les grandes vacances. "C'est le moment où les familles retournent au pays pour marier leur fille", raconte la présidente de l'association Femmes-relais, en Seine-Saint-Denis, en retroussant les manches de son boubou africain. Quand arrive l'été, et avec lui "la saison des mariages forcés", comme elle l'appelle, c'est l'effervescence dans le petit local prêté à l'association par la mairie de Bobigny.
Chaque année en France, d'après le Haut Conseil à l'intégration, 70.000 jeunes filles seraient victimes d'un mariage forcé. Longtemps, cette "tradition" a concerné les familles originaires du Maghreb, du Mali et du Sénégal ; aujourd'hui, elle sévit dans les foyers turcs, pakistanais et comoriens. Phénomène nouveau : les garçons sont désormais, eux aussi, concernés. Les parents obligent leur fils, s'il est toxicomane ou homosexuel, à se marier pour sauver les apparences.
Le droit d'opposition
À la veille des vacances scolaires, Fanta Sangaré, Malienne de 47 ans au caractère bien trempé, multiplie les tournées des écoles, où elle organise des groupes de parole. Elle y parle du droit des femmes à dire non. "Ici, ce n'est pas l'Afrique ou le Pakistan, il y a des règles. Les parents doivent les respecter. Les filles ont le droit de ne pas monter dans l'avion, mais elles l'ignorent le plus souvent", s'agace-t-elle en resserrant l'élastique de ses tresses qui lui tombent dans le dos.
À Bobigny, les filles menacées d'un mariage au pays sont de plus en plus nombreuses à se rebeller. Comme Zahra, une brunette de 27 ans, d'origine turque : "Il était hors de question que je me marie avec mon cousin. C'était monstrueux de la part de mes parents de m'imposer ça." Le jour J, au lieu de se rendre à l'aéroport où l'attend son père, Zahra va frapper à la porte de l'association, qui lui trouve un hébergement provisoire. "Quand les choses se sont calmées, je suis retournée chez mes parents. Aujourd'hui, j'ai un petit ami et il n'est même pas turc !" dit-elle dans un éclat de rire.
L'incitation au mariage, un délit
Il y a quelques mois, une assistante scolaire a signalé à Fanta un mariage prévu pour les vacances d'été. "J'ai rencontré Yasmine. Elle avait surtout peur de la convocation de ses parents devant le juge. Je lui ai dit qu'elle avait le droit de refuser ce mariage et que ses parents n'iraient pas en prison." Yasmine a été placée dans un foyer d'accueil, et Fanta Sangaré a entamé une longue médiation avec les parents. "La mère a fini par accepter de rencontrer sa fille. Elle était triste d'être séparée d'elle, mais elle n'osait rien dire devant le père." Aujourd'hui, Yasmine est rentrée chez elle. Mais Fanta suit de près la famille de peur que la tradition ne reprenne le dessus.
Fanta Sangaré ne réussit pas toujours et, quand les avions décollent, il est souvent trop tard : "Une mère que je connaissais a envoyé ses quatre filles en Afrique pour les vacances. Elles ont été mariées de force là-bas. Elles ne sont jamais revenues. Mais que faire ? Je ne peux pas suspecter chaque famille parce que, l'été, elle retourne au pays !"
Le 28 juin dernier, le Sénat adoptait la proposition de loi déposée par deux députés, Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP), qui transforme en délit l'incitation au mariage. Le texte prévoit trois ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
http://www.lepoint.fr/societe/la-saison-des-mariages-forces-05-07-2010-1211329_23.php
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