lundi 8 juin 2009

Voile : Obama désavoue des millions de Musulmanes

Marianne2

Suite au discours d'Obama sur le port du voile, Catherine Kintzler exprime ses inquiétudes. Dans une tribune adressée au président américain, elle s'interroge sur les répercussions de telles déclarations sur la liberté des femmes musulmanes et condamne l'attitude dirigiste du chef d'Etat.

Au président des Etats-Unis d’Amérique, sur quelques petites phrases de son discours prononcé au Caire le 4 juin 2009.

Monsieur le Président, en novembre 2008 j’ai été magnifiquement accueillie par l’université de Princeton, où votre épouse Michelle a fait une partie de ses études. Avec les étudiants et mes collègues, nous avons parlé de sujets «académiques », de littérature, de musique. Mais, à la demande des collègues qui me recevaient, j’ai donné une conférence sur la laïcité. Et j’ai pu constater, lors des discussions qui ont suivi, que la laïcité n’est nullement méconnue ni incomprise par les Américains comme on le croit faussement en France - comme si la laïcité était une spécialité régionale réservée aux seuls initiés.

On nous accuse, nous Français, de faire volontiers la leçon. Je ne vous ferai pas l’injure de croire que ce sujet vous est étranger. Vous savez que la laïcité est un minimalisme qui suppose que le lien religieux n’est pas nécessaire pour penser et construire le lien politique. Vous savez que la France l’a installée à la suite de plusieurs siècles d’histoire, face à une religion dominatrice et hégémonique -expérience dont les Américains n’ont pas fait l’épreuve, mais qu’ils connaissent et qui mérite, sinon l’approbation, du moins un peu d’attention. Vous savez que la laïcité ne s’oppose pas aux religions : elle s’oppose seulement à leurs prétentions politiques en leur demandant de renoncer à faire la loi. Vous savez que l’abstention qu’elle exige dans l’espace relevant de l’autorité publique a pour corollaire la plus grande liberté dans l’espace civil pour toutes les croyances et incroyances.
C’est en toute connaissance que vous avez abordé le sujet, à plusieurs reprises, dans le discours que vous avez prononcé au Caire le 4 juin.

Vous n’avez, il est vrai, donné aucune leçon. Vous n’avez pas non plus présenté une opinion, un souhait qui vous serait propre. Reprenant sur ce point la tradition de vos prédécesseurs vous avez simplement, tranquillement, avec l’assurance et l’arrogance d’un maître du monde, accordé une caution, exprimé un désaveu et donné des ordres.

En encourageant et en justifiant le port du voile islamique, vous avez désavoué les millions de musulmanes qui ne le portent pas, vous avez réduit au silence celles qui luttent pour la liberté de conduire leur vie au péril même de celle-ci, vous n’avez même fait aucune distinction entre celles qui le portent librement et celles auxquelles il est imposé.

Parmi toutes les interprétations de l’islam, et malgré votre volonté de vous adresser par ailleurs aux musulmans qui rejettent l’intégrisme, vous avez ainsi fait un choix, n’hésitant pas à vous mêler aux débats internes à une religion. A entendre l’approbation que vous avez reçue sur ce point des organisations les plus dures, les plus rétrogrades du monde musulman, nul ne peut douter que ce choix est politique. Ce choix n’est pas nouveau, et là encore vous renouez avec une tradition que vous prétendez par ailleurs rompre : car votre pays l’a fait naguère en soutenant les talibans ; on en connaît les conséquences aujourd’hui. Vous avez offert sur un plateau les femmes et des millions de musulmans non intégristes en cadeau aux groupes les plus réactionnaires : est-ce le prix que vous avez choisi pour la nécessaire réconciliation de votre pays avec le monde musulman ? Un tel prix risque d’attiser la violence y compris en Europe. Car, par cet éloge appuyé du voile islamique, vous risquez de redonner vigueur à ceux qui, aux Pays-Bas, ont assassiné Theo Van Gogh, à ceux qui, au Royaume-Uni, rendent une justice dite «islamique » où la parole d’une femme ne vaut pas celle d’un homme, à ceux qui, au Danemark, ont prétendu faire taire la presse en criant au blasphème, à ceux qui, dans plusieurs pays d’Europe, ferment les yeux sur les crimes dits « d’honneur ».



A son frère qui, fort de votre autorité, lui demandera de s’ « habiller correctement » et lui imposera le port du voile, que pourra désormais répondre une jeune fille de culture musulmane désireuse de ne pas le porter ? Vous l’avez déjà bâillonnée, vous lui avez donné l’ordre de s’incliner, vous lui avez fait savoir qu’une résistance équivaut à un désaveu de sa religion : vous avez déjà fait d’elle, soit une renégate, soit une ombre silencieuse. Vous savez que au moins ici, en France, elle pourra s’abriter derrière la double vie que lui offre, pour un temps, l’école publique. Mais sans doute ne le savez-vous que trop bien. Car là aussi, vous avez coupé sa retraite : vous avez laissé entendre que cette double vie, elle n’y a droit qu’en vertu d’une sorte d’intolérance et d’un « faux semblant de libéralisme », faisant clairement allusion à la laïcité. Comme si le libéralisme et la liberté étaient coïncidents. Comme si l’interdiction d’arborer des signes religieux ostentatoires à l’école publique visait uniquement l’un d’entre eux, comme si cette disposition n’avait pas été un facteur d’apaisement, comme si elle n’était pas corrélative de la plus grande liberté de manifester ses opinions religieuses -y compris en portant librement le voile- dans l’espace civil, comme si la laïcité faisait obstacle à la vie philosophique, religieuse, spirituelle des personnes vivant sur le territoire de la République française jusqu’à leur dicter leur façon de s’habiller. Ce faisant, vous n’avez pas hésité en outre à vous introduire dans les affaires d’un Etat et d’un peuple souverains, ni à les désigner comme un exemple d’intolérance à la face du monde -et on parle de l’arrogance française !

Comme des millions de personnes dans le monde, j’ai salué votre élection, j’ai célébré avec mes amis américains la fierté retrouvée d’un grand peuple libre et libérateur, j’ai étudié votre superbe discours dit «sur les races » avec délectation. J’ai attendu votre discours du Caire comme un grand moment pour la paix du monde : il serait stupide et malhonnête de ma part de lui refuser ce statut et ce rôle, il serait absurde de le rejeter en bloc sous prétexte de ce qui me choque dans vos propos. Mais je serais en revanche lâche et indigne de me taire sur ce que j’y considère comme décevant, humiliant et inquiétant.

Aujourd’hui, en lisant ces phrases qui sont loin d’être anodines, je suis déçue, car elles me font voir en vous un président américain comparable à ceux que j’ai connus, se conduisant en maître du monde, dictant aux autres ce qui est bon et mauvais. En les lisant, je me sens humiliée comme femme -je croyais que le temps est révolu où on faisait d’elles un bien à négocier, à offrir, à sacrifier. Je me sens humiliée comme citoyenne d’un grand peuple dont vous avez balayé en quelques petites phrases une longue expérience historique et tout un pan de la pensée. Je suis gênée à l’égard de mes concitoyens musulmans sincèrement attachés à la laïcité (qui leur offre la garantie d’une vie religieuse libre et paisible) car vous les avez désavoués en tâchant de les réorienter vers ce que vous leur avez indiqué comme la bonne voie. Je suis inquiète surtout pour ceux qui, ici et ailleurs, très nombreux, luttent pour se délivrer de l’intégrisme auquel on veut les identifier sans aucun égard pour leur diversité, pour les débats qu’ils ont le courage de mener, pour leur pensée. Aujourd’hui, je crains que cette alliance légitime et nécessaire que vous offrez au monde musulman, puisqu’elle comprend hélas ce geste appuyé de désapprobation envers les pays laïques, ne scelle à terme une alliance avec tous les intégrismes contre la laïcité et contre les femmes.

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