LE MONDE | 19.02.08 |
De son appartement de Norrebro, dans les quartiers ouest de Copenhague, Kare Bluitgen a suivi les premiers débordements, les premières voitures incendiées, qui ont donné le signal à plus d'une semaine de troubles à travers le Danemark et qui semblaient avoir pris fin lundi 18 février.
Il y a deux ans et demi, cet écrivain est devenu célèbre en se plaignant de ne pas trouver de dessinateur pour son livre sur Mahomet. D'où les publications des douze caricatures dans le journal Jyllands-Posten, les manifestations, les menaces. Mais avant cela, Kare Bluitgen avait déjà eu l'occasion de décrire le glissement de Norrebro. "Les jeunes de 13 ou 15 ans qui ont fait brûler des voitures sont des perdants, dit-il. Chez eux, on ne parle pas danois, il n'y a pas de tradition d'ouverture au monde, on fait tout pour empêcher les enfants de devenir danois, des Danois musulmans." Pour Kare Bluitgen, le problème est leur absence de référence. La police a, en 2007, presque supprimé le marché du haschich de Christiania, le quartier alternatif de Copenhague. Ce trafic s'est concentré à Norrebro, y drainant son lot de criminels et de clubs clandestins de haschich. Les contrôles policiers se sont renforcés. Ces fouilles "aveugles" auraient été à l'origine des premiers incendies, en réponse au comportement jugé "brutal et raciste" des policiers. L'exemple s'est ensuite propagé à travers le Danemark.
EXTRÊME DROITE À PLUS DE 13 %
"Le problème est que ces très jeunes garçons sentent qu'ils ont plus en commun avec les criminels de Norrebro qu'avec leur prof par exemple", dit Kare Bluitgen. Dans le quotidien Information, un ancien délinquant d'origine libanaise racontait, lundi, que beaucoup de jeunes Danois souffraient au Danemark, et évoquait la manière différente pour les jeunes immigrés de s'organiser : "Ils vivent en bande, souffrent en bande et chassent en bande", racontait Fadi Kassem. Et certains de ces jeunes sont récupérés par les bandes de motards qui contrôlent une partie de la criminalité au Danemark.
Pour certains commentateurs danois, le malaise serait le même qu'en France, un mélange de discrimination, de désoeuvrement, d'exclusion. Mais Norrebro n'est pas Villiers-le-Bel et le Danemark ne connaît pas le chômage à la française. "Il y a dix ans, vous auriez pu justifier cette explosion par le chômage des immigrés, note Marie-Louise Schultz-Nielsen, spécialiste à la fondation Rockwool des immigrés sur le marché du travail. Mais l'économie va bien. Et si le taux d'emploi pour les immigrés non européens est de 49 % contre 77 % pour les Danois, il n'était que de 33 % en 1994. Aujourd'hui, avec le plein-emploi, vous pouvez trouver facilement un emploi, tout du moins si vous n'êtes pas trop regardant sur le type d'emploi."
La discrimination existe pourtant, la stigmatisation aussi, avec un parti d'extrême droite à plus de 13 %, dont dépend le gouvernement minoritaire. Mais de plus en de Danois refusent de voir les jeunes immigrés comme des victimes. C'est ce qui a fait réagir le premier ministre libéral Anders Fogh Rasmussen, dimanche, disant qu'il fallait arrêter de répéter "que c'est la faute de la société". "C'est la responsabilité des jeunes et de leurs parents", a-t-il ajouté. Certains, dans sa majorité, envisagent d'ailleurs des bracelets électroniques de surveillance pour les jeunes dès 12 ans, ou que les parents payent les dégâts de leurs enfants de moins de 18 ans.
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Courrier intl':
Le Danemark en proie à des émeutes
Une vague d'émeutes nocturnes provoquées par des "jeunes" secoue le Danemark depuis une dizaine de jours. Elles génèrent un vif débat dans le pays, qui s'interroge sur son modèle de tolérance et sa politique d'intégration.
Neue Zürcher Zeitung (Suisse)
L'écrivain danois Jens Christian Grøndahl constate que le Danemark s'est doté d'une nouvelle sous-classe sociale. Il analyse le point de vue de ses compatriotes sur les immigrants et les problèmes sociaux. "D'un côté, nous trouvons les habitants des ghettos, originaires d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient, peu éduqués, dont le mode de pensée est traditionnel. De l'autre côté, nous trouvons la classe sociale danoise prospère qui perd ses repères entre son embarras, qu'elle ressent en raison du retour d'une société de classes, et son besoin de montrer sa compassion et d'améliorer les relations à l'aide d'initiatives politico-sociales. Au sein de l'Etat providence, la position complaisante, marquée par la fustigation et l'introspection, est devenue tellement habituelle que les pyromanes et les criminels sont même considérés comme des victimes. Sur ce point, l'échec de l'intégration est flagrant : on relève une correspondance entre l'inclination sociale et morale à l'empathie et l'hypersensibilité des incendiaires ou des musulmans pratiquants."
Sydsvenska Dagbladet (Suède)
Les émeutes auxquelles ont participé de jeunes Danois à Copenhague ont lancé le débat en Suède sur la probabilité que des événements similaires s'y produisent. Selon le journal, "à l'instar de la plupart des autres pays européens, les émeutes opposant les jeunes et les forces de l'ordre se produisent déjà régulièrement en Suède. Une semaine sur deux, une école est incendiée. Le feu et la violence éclatent là où les conditions sont réunies. Ces troubles ne sont pas imputables à la société, mais il va sans dire qu'ils posent un vrai problème social, que l'intervention de la police à elle seule ne pourra résoudre. (...) D'après le quotidien danois 'Berlingske Tidende', 10 000 à 12 000 jeunes Danois sont sur le point d'être marginalisés de la société. La situation est pire en Suède. On avance en effet le chiffre d'environ 50 000 jeunes."
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