Le Monde
MAYOTTE (OCÉAN INDIEN) ENVOYÉ SPÉCIAL
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Un braillard vient de naître sur le sol français, comme la première chance de sa vie. Une promesse au berceau, du moins l'espère sa mère, qui a bravé tous les dangers, fait la traversée clandestinement sur un vilain bateau depuis les Comores ou parfois Madagascar pour venir accoucher à Mayotte, ce nouveau département au milieu de l'océan Indien. Elle sortira de l'hôpital avec un joli bébé et, presque aussi précieux, une feuille de papier : un extrait d'acte de naissance de la République.
"60 % à 70 % des mères viennent des îles voisines", estime Zabibo Moendandze, cadre sage-femme de l'hôpital. Depuis vingt ans qu'elle exerce dans l'archipel, après avoir travaillé à l'hôpital Cochin, à Paris, cette Mahoraise n'a aucune peine à reconnaître qui n'est pas en situation légale. Une arrivée au coeur de la nuit, un simple regard apeuré, une manière de se vouloir invisible, fantomatique, dans les couloirs lui suffisent à identifier une clandestine. Les démarches administratives ne font que confirmer sa conviction. "Souvent, les femmes se présentent sans papiers, sans extrait d'état civil, ou empruntent ceux d'une Mahoraise", assure-t-elle.
Parfois, le personnel récupère les femmes à bout de forces à la porte de l'hôpital. Arrivé en 1999, Abdou Madi, médecin gynécologue et chef de pôle, en a ainsi vu mourir sur la table d'opération. "Elles avaient attendu trop longtemps avant de venir. Les complications étaient trop graves", explique-t-il.
Ces femmes ont affronté la mer et la mort pour trouver une qualité de soins. "A Anjouan (l'île des Comores la plus proche de Mayotte), les médicaments et même les bouteilles d'eau sont payants", explique Zabibo Moendandze. Elles l'ont aussi fait - on l'a dit - pour offrir l'espoir d'un avenir à celui qui vient au monde. "Elles veulent que leur enfant soit français", résume Alexandra Soussy, une sage-femme arrivée de métropole, de l'hôpital parisien Necker, il y a un an.
Mayotte est ainsi devenue la plus grande pouponnière de France. Ce nouveau département au milieu de l'océan Indien enregistre 8 000 naissances par an, pour une population officielle de 186 000 habitants. Cent deux sages-femmes et sept gynécologues sont occupés à plus que plein-temps. A lui seul, l'hôpital de Mamoudzou, doté depuis 2000 d'une nouvelle maternité ultramoderne, a enregistré, en 2010, 4 270 nouveau-nés.
"C'est un bon endroit pour se faire la main, plaisante Gaëlle Gaborit, sage-femme qui travaille à Mamoudzou depuis quatre ans et demi. Le rythme est pour le moins soutenu. Il faut gérer en permanence les emplacements." Sa collègue Alexandra Soussy circule justement d'une salle à l'autre, à la recherche d'un lit inoccupé où allonger une femme qui a commencé le travail. "Pour établir une comparaison, à Necker, où il n'y a que 1 800 naissances par an, nous avions cinq tables d'accouchement, contre quatre ici", explique la Parisienne. La jeune femme s'arrête, part rassurer une parturiente, appelle un membre mahorais du personnel pour faire la traduction en shimaoré, la langue locale, revient et reprend le fil de la conversation : "Lors de leur premier accouchement, les femmes n'ont souvent que 16 ans, mais j'en ai vu qui n'avaient que 12 ans."
Ces soins ont un coût pour la collectivité, les clandestines étant dépourvues de couverture sociale. Les comptes de l'hôpital se retrouvent vite dans le rouge. "Tous services confondus, nous enregistrons 30 000 admissions et effectuons 430 000 consultations par an, estime Josiane Henry, directrice des soins de l'hôpital. Notre dotation ne suffit pas à couvrir les dépenses. Nous sommes donc obligés de faire payer ceux qui n'ont pas de couverture sociale." Il est demandé 10 euros pour une consultation, 300 pour un accouchement. Mais, dans les faits, bien peu s'en acquitte. "Les femmes repartent avec une injonction de payer et on ne les revoit plus", explique Abdou Madi.
Le personnel de la maternité sait le débat sur l'immigration illégale qui fait rage en métropole, mais aussi à Mayotte, où les clandestins forment un tiers de la population. Lors de l'accession de la collectivité au statut de département, au printemps, Marine Le Pen, candidate du Front national, avait donné en exemple sa situation pour remettre en question le droit du sol. "Nous ne sommes pas là pour faire la police mais pour soigner", assure Zabibo Moendandze. Abdou Madi fait ici comme il faisait à l'hôpital de La Timone, à Marseille : "Nous accueillons les malades, quels qu'ils soient. C'est une question de principe."
Mais les clandestines sont renvoyées à leur statut précaire sitôt franchies les portes de ce havre hospitalier. "Ces femmes n'ont pas ou peu de suivi, explique Gaëlle Gaborit. Parfois, elles peuvent manquer une consultation d'urgence parce que la police est en bas de chez elles." Par dérogation, à Mayotte, les procédures d'expulsion (26 405 en 2010), qui sont soutenues par l'opinion locale, sont expéditives. Il n'y a guère de possibilités de recours. "Nous écrivons des mots pour préciser qu'une femme est enceinte mais, parfois, la police ne les regarde même pas et renvoie quand même la personne", assure la sage-femme.
Abdou Madi s'agace de l'hypocrisie politique ambiante. Des accords sanitaires pourraient être signés avec les îles voisines. Mais le contexte géopolitique de tension entre la France et la République des Comores (qui revendique Mayotte comme son territoire) interdit pratiquement toute coopération médicale. Dans le même temps, le gynécologue voit régulièrement arriver dans son service des femmes de personnalités comoriennes. Ces patientes-là sont hospitalisées en toute quiétude et leurs enfants pourront prétendre à la double nationalité.
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