dimanche 28 mars 2010

« On a l'impression de vivre dans la bande de Gaza ! »

La grande peur des « Gaulois » article de 2007.

Face à la furie des casseurs de la Cité des 3 000, les « irréductibles Gaulois », comme ils se surnomment, espèrent pour la plupart pouvoir tenir.

«Ça vous dérange pas si je vous dépose là ? Plus loin on y va pas. » Le visiteur de la Cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois est prévenu. Une fois parvenus à 500 mètres de la « zone sensible », les taxis rebroussent chemin. Même en plein jour. Ici règne la psychose de la caillasse et du cocktail Molotov. Il suffit de s'enfoncer entre les barres d'immeubles à dix étages. Carcasses de voitures incendiées, Abribus détruits, commerces aux rideaux baissés, tout rappelle les émeutes des derniers jours.

Pourtant, dans les rues, la vie a repris. « Les casseurs dorment jusqu'à 14 heures » , prévient un habitant. L'école primaire résonne de cris de gamins. Un quinquagénaire d'origine maghrébine en jogging promène son chien. Une femme en boubou tient d'un doigt un enfant en bas âge à la démarche hésitante. Un groupe de fidèles en djellaba et coiffés d'une calotte blanche se dirige vers la mosquée. « Ici, c'est Benetton » , dit Stéphane Girard, le responsable de la Maison de l'emploi et des entreprises, ravi d'insister sur le mélange des cultures.

Certes ! Mais où sont les Blancs ? Ah, si ! En voilà un qui s'engouffre dans son hall d'immeuble, chargé de deux sacs de provisions. Pas de chance... « Je suis turc » , dit-il. « Des Français ? s'étonne-t-il en fronçant les sourcils. Dans le quartier, j'en connais aucun. » Et la concierge ? « Elle est espagnole » , conclut-il en s'engageant dans la cage d'escalier plutôt proprette.

Il y a bien le médecin et son assistante, installés trois immeubles plus loin. Mais toute entrevue est exclue. Le cabinet ne désemplit pas. Une dizaine de patients noirs attendent leur tour. Et l'angoisse se lit sur le visage de la collaboratrice, une blonde menue, agrippée à son carnet de rendez-vous. « Il faut qu'à 17 heures on ait fini. On n'a pas envie de voir nos voitures flamber. Même si on est connus, j'ai pas confiance. On en a besoin pour rentrer chez nous. »

Il faut finalement dépasser l'ultime rangée d'immeubles pour découvrir les premiers « Blancs du cru ». Là s'étend une zone pavillonnaire. De petites maisons blanches, au toit plat, pareilles à des boîtes en carton, s'encastrent les unes dans les autres, espacées d'un carré de pelouse et d'une haie de thuyas soigneusement taillée. Quelques Français de souche y habitent. Moins d'une dizaine. Ils se baptisent eux-mêmes les « irréductibles Gaulois » , les autres ayant cédé au fil du temps leur propriété à des immigrés dotés d'un petit pécule.

Julien, un ancien imprimeur, se souvient de la scolarité de ses enfants. « Sur la photo de classe, il y avait une tache blanche : ma fille , raconte-t-il. Heureusement que j'étais président des parents d'élèves pour la protéger. Plus d'une fois je me suis fait cracher dessus... »


« J'ai cru que c'était comme d'habitude. » Sur le trottoir de son pavillon, Mireille, 75 ans, pantoufles aux pieds, regarde les passants. Elle habite ici depuis plus de trente ans. Et montre un flegme total. Rien ne la trouble. Ni les dizaines de véhicules calcinés. Ni les voitures en flammes lancées contre la Maison des associations. Ni la concession Renault et le magasin de moquette partis en fumée. Le tout sous ses fenêtres ! « J'ai tout appris le lendemain matin dans le journal , dit-elle dans un sourire. J'ai bien entendu des sirènes, mais j'ai cru que c'était comme d'habitude. » Mireille a même provoqué la stupeur de ses voisins en se rendant au marché, le dimanche suivant, au coeur de la cité. « Mais ils sont gentils avec moi ! » assure-t-elle. Elle a juste tiqué lorsque son mari a évoqué la possible dépréciation de leur pavillon si les événements perduraient. « Regardez nos travaux » , dit-elle en montrant les grilles, les volets métalliques et les épaisses planches en bois posées à chacune des fenêtres, en guise de protection.

A deux pas, Maurice, un retraité, breton d'origine, s'est lui aussi barricadé en investissant dans un grand portail métallique. Une nuit, pourtant, des jeunes ont trouvé refuge sur son toit après une course-poursuite avec la police. Ils venaient de dévaliser une supérette. Ils ont déposé leur butin sur sa terrasse. Et sont revenus le récupérer le lendemain matin. « On peut rien leur dire, sinon c'est les représailles , raconte-t-il. Ils vous cassent une vitre ou la boîte aux lettres. En trente ans, mes voitures ont toutes été fracturées et ma femme a été agressée trois fois. » Déménager ? « On est maintenant un peu vieux, et puis on a arrangé notre intérieur à notre façon. »

De l'autre côté de la rue surgit Sébastien, 20 ans, un piercing au sourcil et une cigarette coincée derrière l'oreille. Il laisse éclater sa colère. « On a l'impression de vivre dans la bande de Gaza ! » enrage-t-il. Les jeunes du coin, pourtant, il les connaît. Il les a côtoyés pendant des années au collège. « Mais moi je suis fan de hard rock et eux de rap. Ça suffit à nous opposer. Eux ont plongé dans l'argent facile et la dope. Moi je suis parti au lycée professionnel. » Il y a une semaine, il a été embauché pour son premier travail dans une clinique. « Ce qui me rend fou, ce sont les bus qui refusent certains jours de venir dans le quartier. » Alors, c'est juré, dès qu'il le pourra, il partira. « Je rêve d'un endroit qui sent la bouse de vache. » La mère de Sébastien s'approche en se couvrant les épaules d'un châle noir. « L'autre week-end, on a même des amis qui n'ont pas voulu venir jusqu'à la maison fêter l'anniversaire du petit dernier. »

Les amitiés ? La plupart renoncent à en nouer. « J'ai pensé organiser des après-midi barbecue , dit Maurice, mais on est tellement différents les uns des autres. » Alors chacun se claquemure. Sortir après 20 heures ? « Vous n'y pensez pas ! » s'offusque Mireille.

Même les commerces alentour ferment. La laverie, la boucherie, la boulangerie... Sans parler du cafetier épuisé par les échauffourées et parti sans avoir pris la peine de vendre son fonds.

Au coeur de la cité, un petit miracle a tout de même lieu : l'« Hôtel des activités ». Un regroupement d'une trentaine de PME installées depuis trois ans dans un bâtiment en bois aux allures de chalet. « On dirait presque une carte postale ! s'exclame de la fenêtre de son bureau Jean-Jacques Buée, un entrepreneur spécialisé dans les appareils de sécurité. Quand je leur montre ça, mes clients n'en reviennent pas. »

C'est vrai. Les deux terrains de football, bordés d'une allée d'arbres, donnent du champêtre à la grisaille ambiante. Mais pas de quoi se pâmer. D'autant que, quatre bureaux plus loin, Pierre, lui, déprime. Arrivé d'Orléans, il a mordu à l'appât fiscal de la Zone franche urbaine d'Aulnay (ZFU). Mais il ne s'habitue pas aux harcèlements des bandes. « L'autre jour, dans mon bureau, un client a reçu à l'épaule une pierre lancée d'une fronde depuis le terrain de foot. » L'acte de trop. « On m'a proposé de participer à une milice privée de surveillance, mais je préfère partir , confie-t-il. Et puis, retourner chez moi le soir en faisant du slalom entre les voitures en flammes, j'en peux plus. »

Justement, à la nuit tombée, les bureaux se vident. Quatre camions de CRS prennent position à l'angle d'une rue. Plus loin, trois camions de pompiers les imitent. Les jeunes présents dans les rues depuis le milieu de l'après-midi se regroupent à nouveau. La nuit prochaine s'annonce encore chaude

http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2007-01-17/banlieues-aulnay-sous-bois-la-grande-peur-des-gaulois/917/0/23701

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