Par Ivan Rioufol
La Turquie, musulmane et laïque, a confirmé sa pente : c'est un pays prioritairement solidaire de l'islam qui s'est dévoilé, à Strasbourg, lorsque Recep Tayyip Erdogan, premier ministre, s'est déclaré "personnellement opposé" à la nomination d'Anders Fogh Rasmussen, premier ministre danois, au secrétariat général de l'Otan. La faute de ce dernier ? Avoir soutenu, en 2005, ses compatriotes caricaturistes de Mahomet, au nom de la liberté d'expression. Alors que des dirigeants européens courbaient l'échine en s'excusant, l'insoumis avait sauvé l'honneur.
Ce couac d'Erdogan, qui n'a su cette fois trouver d'alliés, révèle la nature de cet "islamiste modéré", qui voit la laïcité d'Atatürk comme un obstacle et refuse de reconnaître le génocide arménien. En 2008, il avait demandé à sa communauté expatriée en Allemagne de garder sa culture : "L'assimilation est un crime contre l'humanité." Bernard Kouchner a avoué (mardi, RTL) avoir été "très choqué" par la pression turque. Elle a amené le ministre des Affaires étrangères à reconsidérer son appui à une entrée de la Turquie dans l'Europe.
Les yeux s'ouvriraient-ils, sur ce sujet comme sur d'autres ? Les références religieuses du dirigeant, qui voit l'Union comme une association multiculturelle où l'islam aurait toute sa place, font douter de son désir de respecter une commune identité laïque. Alors que le G20 a mis en scène, à Londres, la perte d'influence de l'Occident, une ouverture de l'Europe à la Turquie orientale viendrait accomplir les certitudes médiatiques sur la ringardise de notre civilisation. Mais l'opinion européenne reste majoritairement attachée à ses héritages.
En obligeant Rasmussen, pour prix de sa nomination, à des amabilités pour le monde islamique, Erdogan en a même rajouté dans l'expression de sa différence. "Je respecte l'islam comme l'une des grandes religions du monde et ses symboles religieux ", a dû déclarer le Danois, en promettant de fermer une chaîne de télévision soupçonnée par Ankara d'être porte-parole des Kurdes du PKK. Imagine-t-on l'Europe demander à Erdogan de formuler son respect pour le judéo-christianisme ? En fait, cette arrogance de la Turquie, qui a obtenu la suppression de la référence aux racines chrétiennes de l'Europe dans le préambule de sa Constitution tandis qu'elle-même se réclame du Coran, illustre les limites de l'idéologie de la "diversité", défendue par Barack Obama, mardi. La coexistence entre l'islam et la laïcité occidentale a été bien posée par Erdogan. Et sa réponse est claire.
Il faut reconnaître à Barack H. Obama d'avoir honnêtement abordé le problème de la Turquie, dont il soutient l'entrée dans l'Europe : c'est bien sa qualité d'État musulman qui lui donnerait vocation à intégrer l'Union européenne. Les États-Unis ont à cœur, en effet, de démontrer qu'ils "ne sont pas en guerre contre l'islam", comme l'a redit à Ankara le président américain, qui va augmenter ses forces armées en Afghanistan pour lutter contre al-Qaida. George W. Bush tenait de semblables propos, destinés à limiter son intervention en Irak contre le seul "islamo-fascisme". Mais pourquoi le monde musulman se sentirait-il agressé par ces guerres contre une idéologie régressive qui dénature sa religion ? Laisser entendre que le prix à payer de la lutte contre le fondamentalisme devrait passer par une intégration en Europe de pays musulmans, risquant sinon de se sentir agressés par l'Occident, est un raisonnement trop tordu pour tenir debout.
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